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Chamonix, romantique vallée

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Chamonix et ses impressionnants glaciers, le sommet du mont Blanc conquis après d’âpres assauts, les neiges éternelles, les torrents fougueux, les cascades somptueuses et cet incroyable cristal de roche dont on disait, dans les cabinets de curiosité, qu’il était constitué de glace pétrifiée… Lorsqu’il pénètre dans la vallée, le voyageur des années 1800 peut laisser son imaginaire lui dicter les émotions les plus fortes.

Ses aspirations au romanesque et à l’aventure, son exaltation pour la nature sauvage indomptée et les « sublimes horreurs » sont là, à peine poussée la porte de l’hôtel.

Peintres, poètes ou musiciens viendront nombreux se nourrir de ce décor et magnifier les jeux de lumière et d’ombre, mariant les couleurs dominantes où se mêlent le blanc de la glace et de l’eau, le vert des prés et des forêts, l’ocre des rochers et le bleu du ciel. L’harmonie qui s’en dégage est un pur émerveillement.

L’article en images

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Cascade de Barberine par Deroy

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Cascade des Danses – CPA Gorges de la Diosaz

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Grotte de l’Aveyron par Haekert

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CPA Lac à l’Anglais

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Lac de Chedde par Weber

    Chamonix et ses impressionnants glaciers, le sommet du mont Blanc conquis après d’âpres assauts, les neiges éternelles, les torrents fougueux, les cascades somptueuses et cet incroyable cristal de roche dont on disait, dans les cabinets de curiosité, qu’il était constitué de glace pétrifiée… Lorsqu’il pénètre dans la vallée, le voyageur des années 1800 peut laisser son imaginaire lui dicter les émotions les plus fortes.

    Ses aspirations au romanesque et à l’aventure, son exaltation pour la nature sauvage indomptée et les « sublimes horreurs » sont là, à peine poussée la porte de l’hôtel.

    Peintres, poètes ou musiciens viendront nombreux se nourrir de ce décor et magnifier les jeux de lumière et d’ombre, mariant les couleurs dominantes où se mêlent le blanc de la glace et de l’eau, le vert des prés et des forêts, l’ocre des rochers et le bleu du ciel. L’harmonie qui s’en dégage est un pur émerveillement.

    Le Lac de Chedde

    Passé le défilé de Cluses, le voyageur entre dans la plaine de Sallanches où le massif du mont Blanc impose sa majesté. Pourtant l’éloignement de la montagne le tient encore en respect. Tout change quand, après les premières montées et s’approchant de Servoz, il se retrouve au bord d’un petit lac alpin. Un ruisseau capricieux, le Nant Bordon, s’est, un jour de grosse pluie, dévié de son lit pour venir remplir une petite cuvette dans la forêt. Le lac de Chedde est né, dévoilant par un jeu subtil de reflets dans l’eau les neiges et les glaces du Mont Blanc. Le visiteur est ébloui.

    En 1787, Horace Benedict de Saussure est comblé : « On peut se reposer agréablement auprès d’un joli réservoir qu’on dirait avoir été creusé par la nature pour retenir les eaux d’un ruisseau qui tombe de la montagne. Ces eaux, d’une limpidité parfaite, entourées de grands arbres qui se répètent sur leur surface toujours tranquille bordées d’un côté par un rocher et de l’autre par une prairie charmante, réveillent, au milieu des aspects sévères de ces hautes montagnes des idées si calmes et si douces que l’on a peine à s’en arracher. »

    Vingt ans plus tard, Cambry s’exclame : « Quel tableau ! Le ciel et toutes les couleurs du prisme, le reflet des arbrisseaux et des monts paraient le fond de ce petit lac, entouré de verdure. Le bleu céleste, le jaune, le vert doré, fondus dans le cristal limpide des eaux formaient les teintes principales que confondaient, que balançaient sans cesse les frémissements légers qu’un doux zéphir causait à sa surface. »

    De nombreuses lithographies témoignent de l’attrait exercé par ce point de vue sur les artistes. Linck, Bacler d’Albe, Lory, Birman… toutes leurs œuvres rivalisent de beauté, enjolivées parfois, comme celle de Birman, par des silhouettes de cigognes !

    Le site magique a aujourd’hui disparu : en cette fin d’été 1837 pluvieuse, le Nant Bordon déborde à nouveau et emporte dans sa furie le petit lac et ses reflets charmants.

    Les gorges de la Diosaz

    Né au pied du Buet, le petit torrent alpestre la Diosaz coule tranquillement dans le fond d’un vallon avant d’être précipité violemment dans une gorge étroite. Contraintes par les parois resserrées, ses eaux se lancent alors dans de hautes voltiges, cascades, tourbillons, vapeurs, sauts, rebonds… pour offrir un spectacle haut en couleurs.

    Site aménagé en 1874 par Achille Cazin, docteur ès sciences, on s’y promène encore aujourd’hui en passant d’une rive à l’autre, dominant la fureur des eaux grâce aux passerelles, jusqu’au « soufflet » où un rocher éboulé bloque le chemin.

    Suivre ce sentier au petit matin, avec ses pierres patinées par les nombreux passages, tient du rêve. D’abord la forêt d’où s’exhalent des odeurs de pierre humide, puis, plus loin, les gorges où les rayons du soleil sortent francs et droits à travers les sapins juchés au bord du précipice et dardent le torrent dans une poussière irisée. Les jets d’écume blanche contrastent avec le schiste noir et la protogine rouge, ainsi qu’avec les rochers gris et roux d’oxyde de fer ou colorés de superbe lichen jaune fluorescent. Plus de cent espèces de fougères ont été répertoriées dans ces lieux où l’on peut, avec un peu de chance, surprendre le cingle plongeur, petit oiseau étonnant qui pêche en marchant sous l’eau. Plus haut, dans un fort grondement, les eaux se jettent dans les « marmites de géant » creusées par l’action séculaire de l’eau, pour s’étaler ensuite en nappes d’une merveilleuse transparence d’aigue-marine. Des troncs d’arbres dénudés, amoncelés pêle-mêle sur les berges, attestent la violence du torrent due aux orages ou à la fonte des neiges.

    La cascade des Pèlerins

    Torrents fougueux, rochers éboulés, crues et ravinements, ces phénomènes ne sont pas exceptionnels dans l’historique des montagnes. Parfois dévastateurs, ils présentent l’avantage de créer ­– parfois – des sites exceptionnels, durables ou éphémères. C’est le cas du Nant des Pèlerins, émissaire du glacier du même nom dont la langue descend presqu’à hauteur de Pierre Pointue. Creusant son lit au milieu de la forêt et des rochers, le ruisseau dévale la pente « presque à la verticale » avant de heurter un gros rocher. Selon Töpffer, qui visite le site avec ses élèves en 1842, c’est là que l’eau « tombe avec tant de force dans une espèce de godet ou d’entonnoir naturel pratiqué par sa chute dans le roc qu’elle remonte encore plus vite qu’elle n’est descendue, forme une gerbe en s’élevant et retombe comme un grand jet d’eau artificiel. » Il s’y mêle des débris, des pierres qu’on « voit encore décrire l’arc et se briser ou rebondir au moment où ils frappent le sol. »

    Töpffer précise que, pour jouir du spectacle, il faut grimper des « gazons glissants et rapides qui penchent tout juste sur l’endroit où aboutit l’arc ». Mais il met en garde les maladroits qui tomberaient. Ils recevraient alors une « douche de bouillons et de cailloux sous laquelle en trois secondes ils auraient cessé de vivre. »

    Dix ans plus tard, la cascade a définitivement disparu.

    Le lac à l’Anglais

    Un petit étang alimenté par une source, des rochers, une vue splendide sur les montagnes… il n’en fallait pas plus à Lord Sinclair pour rêver. La mode est alors aux parcs avec fabriques où l’on souhaite recréer des lieux abandonnés au sein d’une végétation sauvage. Et l’on se complaît au milieu de rochers, de vieilles pierres, d’arbres poussés à la hâte, de lacs « naturels » envahis de roseaux.

    Dès 1886, Sir John George Tollemache Sinclair (1824-1912) issu d’une vieille famille écossaise et habitué de Chamonix où il descend à l’hôtel Couttet, achète les terrains nécessaires aux Gaillands pour y aménager un site selon le goût romantique de l’époque.

    Il fait alors construire de fausses ruines d’église gothique se dressant sur la rive d’un charmant petit lac. Un sentier, où chacun peut se promener en rêvant ou en méditant, en longe les berges. A t-il été influencé par la « grotte de Vénus » (inspirée de Wagner) aménagée en 1878 au château de Linderhof en Bavière ? Des rochers, reconstitués en ciment et harmonieusement amoncelés, dissimulent une grotte où l’on peut accéder en barque. S’y éclipseront bien vite les plus passionnés des romantiques.

    « L’illusion était si grande, écrit Gaby Cural-Couttet, et la perfection des rochers et des grottes telle que ceux qui n’étaient pas dans le secret ne pouvaient pas déceler le subterfuge. Le décor était follement romantique et inclinant à la rêverie. Pas un touriste ne vint à Chamonix sans aller se pâmer devant ces cartons pâtes, pas un qui ne se précipitât dans ces grottes humides et froides où des gouttelettes glacées vous tombaient sur la tête ».

    La grotte de l’Arveyron

    Attraction célèbre au début du XIXe, la grotte de l’Arveyron se forme chaque été lorsque le dégel en altitude alimente le torrent glaciaire. Se frayant un chemin sous la masse de glace, l’eau rogne autour d’elle, formant progressivement une véritable caverne, haute parfois de plusieurs dizaines de mètres, sous laquelle hommes et montures peuvent pénétrer – non sans risques de voir des glaçons se détacher de la voûte et tomber sur les curieux.

    Pour Marc Théodore Bourrit, le spectacle est grandiose. « On entre dans une magnifique grotte d’un bleu foncé. Des crevasses verticales passent par cette voûte et présentent des avant-murs, des colonnes plus ou moins élevées, et mille configurations qui, selon la position qu’on prend, font l’effet du frontispice d’un temple, d’une façade ornée de reliefs gothiques et qui dans d’autres, rappellent à l’imagination ces peintures charmantes de grottes de fées. Tout se prête à l’imagination, tout fait illusion. »

    Les parois de glace laissent passer la lumière en transparence, provoquant des irisations du plus bel effet. Des tonalités très douces, de vert tendre et de bleu pastel, rejoignent le blanc vaporeux ou nacré… On ne se lasse pas d’admirer, de peindre. Aquarelles et lithographies abondent, retraçant par les couleurs, exagérant par les formes extravagantes l’exaltation passionnée et romantique ressentie par les spectateurs. Les épithètes emphatiques ne manquent pas pour évoquer tant d’émoi : grotte de « crystal », frontispice de temple, portail gothique, palais magnifique, péristyle incrusté de pierres précieuses…

    Ce trésor disparaît petit à petit, au fur et à mesure de la décrue glaciaire. On l’évoque pour la dernière fois vers 1873.

    La cascade de Barberine

    Depuis la construction des barrages d’Emosson, la si belle cascade de Barberine a perdu de sa superbe. L’eau était autrefois précipitée d’une « grande hauteur », faisant la joie de tous les voyageurs qui s’arrêtaient pour contempler. Des garde-corps garantissaient la sécurité des nombreux amateurs de sensations fortes tentés de s’approcher dangereusement des gicles et des embruns rafraichissants. Raoul Rochette est conquis : « Ce spectacle, non dénué de force ni de grandeur, offre des images et des couleurs d’une variété, d’un effet inimitable ; et rien ne manque à l’effet de ces images et à la magie de ces couleurs, quand le soleil, d’un seul de ses rayons, vient illuminer la cascade. »

    C’était une pause bien appréciée pour les voyageurs en route pour Tête Noire et qui devraient bientôt affronter les plus dangereux précipices de ce défilé redoutable non exempt de brigands.

    Bibliographie :

    Claude-Annet Jullien « Souvenirs de mon voyage à Chamonix » 1862

    Rodolphe Töpffer « Voyages en zig-zag » 1853

    Raoul Rochette « Lettres sur la Suisse » 1821

    Horace Benedict de Saussure « Voyages dans les Alpes » 1779

    Jacques Cambry « Voyage Pittoresque en Suisse et en Italie » 1802

    Gaby Cural-Couttet « Les folles années de Chamonix » 1998

    Marc Théodore Bourrit « Description des glacières, glaciers et amas de glace du duché de Savoye » 1773

    Illustrations : collections particulières