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L’hôtel Bellevue d’Argentière, relais des diligences

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À Argentière, à l’emplacement de l’hôtel Bellevue, on trouve, dès 1815, une auberge bâtie par la famille Devouassoux. Les voyageurs en route pour le col de Balme peuvent y faire étape. Quelques années plus tard, en 1847, l’auberge est agrandie et transformée en hôtel : ce sera un relais pour les diligences qui, par le Col des Montets, se rendent à Vallorcine, passent le vertigineux défilé de Tête Noire avant de grimper au Col de la Forclaz et de redescendre sur la plaine du Rhône. Michel-Méri Devouassoux en est le propriétaire. Sur le mur, devant la porte, des anneaux permettent d’attacher les attelages. À l’intérieur, se trouvent une auberge, une boulangerie et, à l’étage, des chambres. Sur le côté, on a construit des écuries pour les chevaux et des remises pour le matériel.

Diaporama de l’article

  • Légende photo :

    Rue principale d’Argentière, à gauche l’hôtel Bellevue, à droite l’hôtel de la Couronne

  • Légende photo :

    Marie-Louise Devouassoux, blanchisseuse puis patronne

  • Légende photo :

    Lucienne Brissaud, dite Lulu et son accordéon merveilleux

  • Légende photo :

    Sur le mur du bar de l’hôtel la fresque peinte par Elie Grekoff

  • Légende photo :

    L’hôtel Bellevue carton publicitaire fin XIXe

  • Légende photo :

    En 1960 en cuisine

    L’arrivée du train à Argentière signera l’arrêt de mort des diligences, mais pas de l’hôtel Bellevue, au contraire. Les touristes affluent, l’été d’abord. Génération après génération, les Devouassoux se succèdent à la tête de l’établissement. Anatole (dit Natol), fils de Michel, y sera maître d’hôtel, c’est-à-dire, en langage de l’époque, patron, jusqu’à ce que son propre fils, Paul, prenne la relève.

    Mais pour mener à bien sa profession, Paul s’expatrie à l’étranger : Angleterre, Suisse, Allemagne… C’est là qu’il apprend à parler les langues étrangères et c’est à l’occasion de ces stages dans les plus grands hôtels (Spa en Belgique, le Savoy à Londres ou, plus près de nous, le Carlton à Chamonix) qu’il étudie le vrai métier de maître d’hôtel. À la mort de sa mère, en 1933, il prend la direction de l’établissement qu’il assure ensuite avec Marie-Louise, sa jeune épouse.

    Pendant la période d’entre deux guerres, règne au Bellevue l’agitation trépidante que l’on trouve dans la plupart des hôtels de la vallée. La clientèle est riche, le «Tout-Paris» se presse aux sports d’hiver. À Argentière, cette clientèle en villégiature se mêle, à l’heure de l’apéritif au bar, aux gens du pays, guides ou moniteurs… donnant à l’ensemble cette ambiance de fête si particulière et si chaleureuse !

    Outre ses talents d’hôtelier, Paul «à Natol» lance des projets. Ainsi, croit-il fermement à cette idée de téléphérique qui, d’Argentière, conduira les skieurs jusqu’au Col des Rachasses. Il compose, pour la circonstance, les paroles d’une chanson qu’il fredonne sur l’air de la «Monfarine»

    «Les enfants de nos enfants

    En auront bien de la veine

    Car pour monter au Lognan

    Ne grimperont plus la moraine

    Ils grimperont dans le télé

    Par-dessus rochers et crevasses

    Ils grimperont dans le télé

    Faire du ski au col des Rachasses»

    Pendant la guerre, hélas !, tout tourne au ralenti et Paul doit descendre chercher son ravitaillement à vélo jusqu’à Cluses parfois. Pourtant, en 1941, l’hôtel est choisi pour tourner le film «L’assassinat du Père Noël». Toute l’équipe du film loge à l’hôtel et certains se souviennent encore de l’affection que porte Harry Baur au facteur : le père Fontaine.

    Les anecdotes se succèdent, les fous-rires et les farces roulent, toujours renouvelés. Les hôteliers ont alors la charge de trouver des animations pour leurs clients. Ainsi, profite-t-on de la rumeur qui court comme une trainée de poudre concernant des pépites d’or qui auraient été trouvées dans la montagne, quelque part sous le col du Passon. Aussitôt, le Bellevue propose son cocktail «Mine d’or», fabriqué à base de liqueur de Danzig, une boisson aux reflets irisés boudée la plupart du temps… Tous les journalistes accourent à Argentière !

    Grâce à la qualité de l’accueil, toujours chaleureux, des hôteliers, le Bellevue se taille, parmi le «gratin parisien» une excellente réputation. Denise Noël, membre de la Comédie Française, qui se casse la jambe, Henri Troyat, Les Compagnons de la Chanson, Lino Ventura, d’une gentillesse et d’une simplicité extrêmes, des coureurs automobile, la sœur du Shah d’Iran, Claude Vega, Glenn Ford, Robert Hirsch qui fonde, avec tous les habitués, le Bellevue’s club… des personnalités de tous bords ont ainsi séjourné, en toute amitié et souvent en toute simplicité, dans cet établissement.

    Parmi les clients se trouve le grand artiste Elie Grekoff, cartonnier à Aubusson. Un pan de mur de la salle de restaurant se trouvant vide, il propose de l’illustrer d’une fresque… représentant des jeunes gens dans leur plus simple appareil, ce qui n’a pas manqué de scandaliser de nombreuses personnes… mais pas le dénommé «Piccino», employé comme laveur à l’hôtel, qui reste subjugué par le travail de l’artiste et passe toutes ses heures à l’admirer !

    Bien qu’éloigné de Chamonix, Argentière resserre alors ses liens pour créer, construire, animer, se faire connaître. C’est ainsi que, sous l’impulsion de Jean Brissaud, Argentière construit une piscine dans la Moraine. Alimentée par l’eau — glacée — d’un petit ruisseau, on invente un système avec bassin de réchauffement : l’eau séjourne d’abord dans un premier bassin très peu profond afin de se réchauffer un peu avant d’aller alimenter le bassin de baignade.

    Texte rédigé par Joëlle Dartigue-Paccalet en 1999 à l’occasion des Journées du Patrimoine grâce aux souvenirs généreusement partagés par Lulu et Lili Devouassoux et leur maman Marie-Louise ainsi que Jean Brissaud.