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La paroisse d’Argentière, quelle histoire !

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« Le territoire et mas d’Argentière, dès les Montets de Vallorcine et Montagne de la Balme jusques aux Montets du Lavancher et Thynes exclusivement, fut érigée en paroissiale en 1726. Auparavant les habitants de cette paroisse étaient paroissiens du Prieuré, seule première église où ils venaient, en été et en hyver, aux offices de la Paroisse ». « Par sentence du Rd Official Paris, en date du 6 May 1726, et traité avec les habitants du 25 Juin 1726, ledit mas fut érigé en Paroissiale.Les habitants bâtirent à leurs frais l’Eglise et le Presbytère. » C’est ainsi qu’est décrite, succinctement, la création de la paroisse d’Argentière.

Diaporama de l’article

  • Légende photo :

    L’église d’Argentière vers 1826 – Collection Amis du Vieux Chamonix

  • Légende photo :

    L’église d’Argentière vers 1826 Collection Amis du Vieux Chamonix

  • Légende photo :

    Argentière milieu XIXe siècle.

  • Légende photo :

    Le presbytère et l’église d’Argentière en hiver 1955

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    La façade signée Ruphy (1862) de l’église d’Argentière 2021

    Pourtant, tout ne se fait pas si facilement, et les habitants de la « Dymerie Dessus les Thynes » doivent se battre pendant de longues années avant de faire admettre aux autorités religieuses le bien-fondé de leur demande.

    En 1530, tous les villages de la haute vallée de l’Arve dépendent du Prieuré de Chamonix, lequel, uni au Chapitre de Sallanches, désigne le curé de l’unique paroisse : Chamonix. La « Dîmerie Dessus-les-Thynes », quant à elle, comprend les hameaux de « la Joux, des Illes, de la Rosière, du Liottre, des Illes du Dessus (Argentière : NDLR), des Frasserands du Montroc et du Tour ».

    Quelques années plus tard, en 1561, le Prieuré de Chamonix sera composé de trois paroisses : Chamonix, dit le Prieuré, Servoz, dit Saint Michel du Lac et Vallorcine, elles-mêmes divisées en une dizaine de dîmeries.

    Redevance ecclésiastique versée en nature, la dîme correspond au 1/10e de tous les « fruits de la terre ». Affecté aux besoins du clergé, à l’entretien des bâtiments du culte, aux aumônes et à l’aide apportée aux indigents, cet impôt est souvent vécu comme une injustice, venant grever très lourdement les familles les plus démunies. Dans la vallée, ce sentiment d’injustice est majoré du fait du taux particulier de la dîme : 1/12e

    À l’époque, le sommet de la pyramide hiérarchique ecclésiastique — le Diocèse — se trouve à Genève et sa juridiction porte sur 58 paroisses.

    En 1685, les habitants du Tour et de Montroc se posent en précurseurs vis-à-vis de cette autorité, et obtiennent l’autorisation de faire bâtir une chapelle au Tour. C’est, pour les habitants de ces hameaux, un lourd sacrifice, car « ils devront assurer l’entretien du curé, des édifices et dédommager le Chapitre de Sallanches du dommage causé par cette séparation ».  Leurs charges seront élevées : « le capital de 300 florins monoye de Savoye, sous la cense et revenu de 15 florins annuels, payables tous les ans à la St Michel Archange ». Ils sont, en outre, tenus d’assurer l’entretien des ornements de la chapelle, de l’ameublement, des luminaires, des linges et « autres choses nécessaires et requises pour y estre célébrée la Sainte Messe ».

    Malgré un prix à payer élevé, la fondation de la chapelle du Tour devient un exemple et sert de jalon aux Argentérauds qui souhaitent, eux-aussi, se libérer de la tutelle pesante de la Collégiale de Sallanches. Ils entament alors une série de démarches qui, à force de persuasion, les amènera à réussir et à créer leur propre paroisse.

    Tout d’abord, une première demande, datant de 1704, argumente que « leur paroisse ne doit pas être desservie par un chanoine de Sallanches, pour que les peuples aient en leur recteur la confiance nécessaire et en soient servis plus utilement ». Très maladroite, cette première démarche sera, évidemment, rejetée.

    Une deuxième demande, plus diplomatique, datant d’octobre 1720 : « Les hameaux et maisons qui comptent plus de huitante familles et passées 400 âmes, au pied des glaciers, sont tellement éloignés de leur mère église de Chamonix qu’il se passe quelquefois plus de 7 mois consécutifs que les 3/4 d’entr’eux, particulièrement les vieux, les femmes et les enfants ne peuvent point du tout se transporter à la dite église éloignée de plus de 2 lieues pour y entendre la Sainte Messe les jours de festes et dimanches, pour y recevoir les instructions et autres secours spirituels si nécessaires à tous les chrétiens pour leur conduite et le salut de leurs âmes ; cette distance les oblige à employer des jours entiers pour l’allée et retour des personnes vigoureuses en état de faire ce trait, même dans les saisons de printemps et d’automne ; la difficulté et l’impraticabilité des chemins occupés par les neiges et glaces dont la hauteur passe quelquefois dix pieds, outre les lavanches et éboulements auxquels ils sont exposés tous les jours, particulièrement à l’endroit de la Verdaz et du Chatelet, situé presque au milieu du chemin d’entre leurs hameaux et Chamonix, qui ont fait périr un grand nombre de temps en temps sans pouvoir se précautionner contre ces dangereux accidents, impossibilité d’avoir des prestres pour administrer les sacrements à leurs malades pour lesquels il faut employer le plus souvent 2 jours et les malades se trouvent décédés quand le prestre est arrivé près d’eux ; la dernière messe de Chamonix est souvent dite quand les pauvres suppliants sont partis dès le point du jour pour y assister, ce qui produit une grande ignorance chez eux, chez leurs enfants. Pour auxquels malheurs obvier à l’avenir, les pauvres suppliants ont formé le dessein, dès depuis quelques années, de s’adresser à Mgr Votre Grandeur pour leur obtenir un prestre résident sur les lieux pour s’y acquitter de toutes les fonctions curiales, à quoi ils se croient fondés par toutes les lois divines et humaines, et pour ne rencontrer aucune difficulté s’engagent à se retrancher de leurs petites facultés pour bastir et orner une église au milieu de leurs dits hameaux avec presbytère convenable pour l’habitation du prestre ; à concourir à son entretien à forme du droit et faisant ce qu’il plaira à V. Grandeur de leur infliger. »

    Longueur du trajet, danger d’avalanches… ces motifs sont, pour l’époque — et constitueront longtemps encore — de sérieux arguments pour les habitants d’Argentière dans de nombreux domaines : établissement d’une mairie-annexe, construction et maintien des écoles de hameau…

    Pourtant, le Chapitre de Sallanches ne se laisse pas convaincre aussi facilement : « La longueur et la difficulté du chemin n’est pas telles qu’ils l’ont exposé puisqu’ils n’en trouvent point pour venir par le mesme chemin jusqu’à la ville de Sallanches tous les jours de marché, tant en hiver qu’en été, pour faire leur négoce, quoiqu’elle soit distante de leurs hameaux de 5 grandes lieues, ce qui fait penser que leur grand zèle pour le service divin n’est qu’une démonstration… Il n’y a pas dans le diocèse une paroisse où les habitants soient mieux instruits puisqu’ils savent tous lire, tant jeunes que vieillards ; ce n’est pas un esprit de piété mais un esprit de trouble et de nouveauté qui les fait agir… On ne connaît qu’un seul cas d’un accident mortel arrivé la nuit de Noël où un habitant est mort accablé de froid sous une lavanche. La plupart des habitants des villages appelés le Tonnel, le Chenavier, le Mont, les Frasserands, les Grangers et Trélechamp ne seraient pas moins exposés aux lavanches qu’ils ne le sont aujourd’hui en venant à leur nouvelle église, ce qui fait voir le peu de fondement de leur caprice… La pauvreté alléguée n’est que pure grimace puisqu’ils sont véritablement les plus aisés et les plus riches de toute la paroisse de Chamonix… Ils racontent que la population a augmenté, c’est le contraire puisque dans la visite Pastorale de St François de Sales on mentionne 500 feux à Chamonix et aujourd’hui seulement 450… Chamonix vient de faire rebastir une église pour contenir tous ses paroissiens, y compris ceux de la dîmerie « sur les Tines… » Enfin, ils nous parlent des hameaux de Tonnel et du Mont qui n’existent pas et au Chenavier il n’y a qu’une maison… »

    Pourtant, une sentence du 6 Mai 1726 du Révérend Paris déclare la paroisse distincte et séparée de Chamonix. La distance qui sépare désormais les Argentérauds de leur église paroissiale va leur rendre la vie plus facile. Néanmoins, ce « confort » passe par d’assez importantes contraintes matérielles : outre les travaux de construction de l’église et du presbytère, il leur faudra fournir un jardin au prêtre, payer le curé, nommer un procureur pour la « Boîte aux Âmes », entretenir la lampe ardente, payer certains services comme les « stations » ou les « six fêtes vouées », payer un marguillier et un clerc portant eau bénite, et enfin tenir les « petites écoles où sera enseignée la grammaire. »

    Enfin, le grand jour de la consécration arrive. Ce 23 octobre 1727, Monseigneur Bernex visite la « nouvelle église que les communiers de la dismerie sur les Thynes » ont fait construire sur le lieu d’Argentière et sous le vocable Saint Pierre Apôtre. Il y visite le « Saint Sacrement, les Saintes Huiles, les vases et linges sacrés, les ornements, fonts baptismaux, registres des baptêmes, mariages et décès, la sacristie, le cimetière, le presbytère… tout cela accompagné du Révérend Hocquiné, chan. de la cathédrale, du prêtre local Demontet, du Révérend de la Ravoire, prévôt de Sallanches, du Rd P.F. Marin, chanoine de Sallanches. » « Mgr a été très édifié de la piété des paroissiens d’Argentière, a érigé les confréries du St Sacrement et du Rosaire, et le lendemain, 24 octobre 1727, a sacré la dite nouvelle église. »

    Pourtant, cette piété sera à plusieurs reprises prise en défaut, notamment par les agissements de tous ceux qui s’adonnent à la contrebande du sel, souvent par nécessité vitale. Ainsi, ce 2 juin 1754, le Recteur de la Paroisse déclare-t-il que « les contrebandiers violent continuellement les fêtes et les dimanches pour faire leur indigne métier ». Tenu par son ministère à des sanctions à leur encontre, il s’entend répondre de ces hommes qu’ils « vivront mieux sans sacremement que sans pain ! »

    Cette année-là, Gaspard et Pierre Simond, Gaspard Devouassouz, Joseph-Michel Folliguet, Louis, Jean et Jean-Pierre Mugnier, Gaspard Charlet ne feront pas de Pâque à cause de la contrebande. Les relations seront tellement tendues entre le chef spirituel et ses ouailles que d’aucuns disent que certains coups de feu auraient pu être entendus à proximité du presbytère !