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Vive les sports d’hiver avec le train

Voilà maintenant 125 ans que nous voyons passer le joli petit train de Chamonix. Le bel âge ! Rouge et blanc aujourd’hui, il a revêtu différents costumes au fil des années, du brun et crème, du bleu et blanc, de l’orange, du rouge brique… 

Voilà maintenant 125 ans que nous voyons passer le joli petit train de Chamonix. Le bel âge ! Rouge et blanc aujourd’hui, il a revêtu différents costumes au fil des années, du brun et crème, du bleu et blanc, de l’orange, du rouge brique… On l’a vu s’orner d’une impériale où les plus intrépides se juchaient pour mieux voir le paysage, tentant même d’enjamber les garde-fous pour passer sur le wagon suivant. On a connu ses rustiques banquettes de bois au confort… douloureux. On s’est penché à la fenêtre pour mieux sentir l’odeur du vent dans les sapins. On y a entendu, hélas, par un triste matin du 3 août 1914, le chant de la Marseillaise entonné par les soldats appelés à rejoindre le Front ! Mais on a aussi surpris les cris joyeux d’une ribambelle d’enfants débarquant pour un séjour en colonie de vacances ou classe de neige.

Notre valeureux petit train a transporté des voyageurs nantis, ceux des 1eres classes aux banquettes capitonnées. Il a transporté du bétail réquisitionné et condamné à l’abattoir de Cluses afin de nourrir les troupes. Il a transporté, dans de grosses caisses protégées de la chaleur par de la paille, des pains de glace énormes prélevés au glacier des Bossons et destinés aux hôtels luxueux de Genève ou de Paris. Il a transporté les lourdes barres d’acier brut vers les forges du pays. Il a transporté des tonnes de charbon dans les wagons-tombereaux jusqu’au dépôt, derrière la gare, où il était conditionné en sacs de 50 kg…

Il en a tant fait, le petit train de Chamonix, qu’on a l’impression qu’il est né il y a très très longtemps, presque en même temps que le Mont-Blanc ! Et pourtant… Que de péripéties depuis l’arrivée du rail en Europe au milieu du XIXe siècle. 

L’Annexion est à peine prononcée, la Savoie et le Piémont sont tout juste séparés que l’Italie et la France souhaitent créer une liaison ferroviaire entre elles. Ce sera, avec l’accord conclu en 1856 entre Napoléon III et le ministre Cavour, le tunnel du Mont-Cenis inauguré le 17 septembre 1871. Parallèlement, à Paris, le ministre des Travaux Publics, Charles de Freycinet, fait adopter en 1879 par le Parlement ce qui s’appellera le Plan Freycinet : 150 nouvelles lignes, 10 000 kilomètres de rail en France. La Compagnie P.L.M. (Paris-Lyon-Méditerranée) est choisie pour mettre en œuvre (sur son secteur) cette politique sociale étonnante. 

En 1890 le train arrive à Cluses. 

Tout va alors aller très vite, en dépit des difficultés de tous ordres qui ne manqueront pas de se présenter. Après étude, on choisit de garder une voie normale jusqu’au Fayet puis de construire, pour rallier à la voie métrique montant du Valais, une voie identique entre Le Fayet et Barberine avec une traction soit par câbles, soit par des machines actionnées par la vapeur, l’eau ou l’électricité.

Tout est à faire, tout est à imaginer, tout est à penser : des matériaux pour construire les rames jusqu’aux usines hydroélectriques pour fournir l’énergie nécessaire ; de la main-d’œuvre qualifiée pour tailler les pierres jusqu’aux maçons-bâtisseurs ; des artificiers pour creuser les tunnels jusqu’aux ingénieurs en électricité… Pendant 5 ans, la vallée de Chamonix va vivre au milieu d’une fourmilière.

Des ingénieurs pour la houille blanche

En 1896, la Compagnie P.L.M. obtient officiellement l’autorisation d’utiliser la force hydraulique de l’Arve. Les sites de Servoz et des Chavants sont choisis pour y implanter les usines motrices. Avec les sous-stations des Iles et du Morzay, la distribution du courant électrique se fera en continu par un troisième rail, posé parallèlement à la voie.

L’eau dérivée passait d’abord dans une chambre de décantation dont la profondeur variait de façon à conserver in fine un débit constant de 12 m3. La galerie des Gures faisait suite aux bassins de décantation. Longueur 505 m, déclivité 20 mm/m, largeur 2,5 m, hauteur 2 m pour une vitesse de 2,4 m/s et un débit de 12 m3/s. Quatre conduites forcées (diamètre 0,95 m) en acier doux de 8,50 ml de long étaient assemblées entre elles par des brides boulonnées, scellées en amont et en aval dans les murs de l’usine. Au bout de chacune d’elles, une turbine de 500 ch.

Des bâtisseurs de haute qualification  

Le résultat de leur travail s’offre encore aujourd’hui à nos regards. Il n’est donc pas très difficile de comprendre ce qu’a été leur œuvre colossale. Qu’on les appelle tailleurs de pierre, maçons ou muratori selon le terme Italien, ils sont venus de la région d’Ivrea pour reconstruire la ville de Sallanches après l’incendie dévastateur de 1840. Beaucoup sont restés, leur savoir-faire les ayant rendus indispensables pour les nombreux travaux que le tournant du XXe siècle allait engendrer au pays.

Le granit, roche très compacte et très dure, s’est pourtant avéré matériau de prédilection pour tous les ouvrages d’art de la voie ferrée. Disséminés dans la vallée, les blocs erratiques délaissés par les glaciers se situent souvent proches du chantier : on a tôt fait d’y tailler les moëllons qui s’empileront pour former les murs les plus solides. Ainsi, ponts et viaducs sont jetés au-dessus des cours d’eau, comme ceux de Pont Sainte-Marie, des Tines ou de Montroc. Plus de cent ans plus tard, on admire encore le travail de ces artisans qui ont su modeler cette pierre plus dure que le marbre, dessinant les arrondis des piles, ajustant les clés de voûte des ponts qui soutiennent nos passages aujourd’hui comme hier. Leurs outils spécifiques de tailleurs de pierre, la massette, la marteline ou la boucharde, la masse de Galice ou la masse de Testut sont entrés en action pour parvenir à fendre, tailler puis polir la roche.

Encart : On peut imaginer les multiples problèmes qu’a dû poser la cohabitation entre Piémontais et Chamoniards… Une légende raconte que, lors de la construction du viaduc Sainte-Marie, un ouvrier est tué lors d’une bagarre qui tourne mal. Bien embarrassés de ce corps et non désireux d’avoir affaire à la maréchaussée, les protagonistes le jettent dans une des piles du pont où il est aussitôt noyé dans la maçonnerie. Tous jurent le silence…

Des artificiers et des ouvriers pour les tunnels, les murs paravalanches et les digues

Torrents fougueux à canaliser, comme l’Arve à Argentière ; excavations à creuser, comme aux Gaillands et aux Praz, pour récupérer le remblai nécessaire aux talus ; murs en chevrons et galeries paravalanches comme au droit des Chéserys… Tout au long de son tracé, la ligne a dû consentir un nombre considérable d’adaptations techniques que les ouvriers ont su mettre en place rapidement. 

Le chantier le plus difficile, qui a coûté la vie à sept hommes, reste celui du creusement du tunnel des Montets. Adjugé le 19 mai 1905 à l’entreprise Catella & Miniggio, il commence dès les beaux jours. Malheureusement, dans ce tissu géologique un peu particulier, les pics des mineurs croisent sans cesse des failles de rocher d’où jaillissent des torrents d’eau dont les plus importants sont chiffrés jusqu’à 22 m3/minute. Les ouvriers se mettent en grève. Le chantier arrêté reprendra en hiver et durera trois ans. Enfin, la jonction se fait le 3 novembre 1907 au prix de 8 000 tonnes de ciment injecté à travers les parois du tube.

Voyage en train pour les sports d’hiver

Le train arrive en 1901 à Chamonix, en 1906 à Argentière et en 1908 à Vallorcine. Les inaugurations se déroulent en grande pompe pendant que, tout au long du parcours, sortent de terre de nouveaux hôtels qui, équipés du chauffage central, pourront recevoir leur clientèle en hiver. À Chamonix, on trace la nouvelle avenue de la gare en 1909 où rapidement fleurissent les hôtels et commerces : l’hôtel des Etrangers, l’International, le Carlton, l’hôtel-pension des Chemins de Fer… Pour déneiger la voie, un chasse-neige rotatif appelé Rotary, efficace quelle que soit l’épaisseur de neige fraîche, succède au truck-moteur à étrave. Dans la vallée, les premiers skis ont fait leur apparition, le Docteur Michel Payot et le guide Joseph Ravanel le Rouge s’empressent de tester ces merveilleuses planches. La 1ère Haute Route, réalisée en 1903, ouvre tout grand la porte aux joies des sports d’hiver.

Désormais, les affiches de la Compagnie P.L.M. porteront haut et clair les bienfaits de la neige et du ski à Chamonix qui compte, en 1907, jusqu’à 170 000 visiteurs.

Le ski est un admirable instrument de sport, mais il est mieux que cela. (…) Le ski libérateur a affranchi le montagnard de la servitude de la neige. (…) C’est la vie en plein air, c’est la vie hivernale, aérée et ensoleillée. (…) Oui le ski est un libérateur et il a plus d’importance pour l’avenir de la vallée que trente changements de ministères.

Recteur Payot (Les Alpes éducatrices – 1905)

Bibliographie : Brochure du Patrimoine Chamonix 2001- Joëlle Dartigue-Paccalet

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