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Avec Théophile Gautier en 1881

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(Il faut) de fortes chaussures en cuir écru, avec des semelles épaisses, étoilées de clous, se laçant par une aiguillette, et très souples, malgré leur apparence grossière. On les graisse avec du saindoux ; c’est la manière de les cirer. (…) La chaussure est une chose importante dans les expéditions alpestres ; même quand on ne voyage pas en piéton, il y a toujours des passages pénibles ou dangereux où il vaut mieux descendre de son mulet et marcher sur les pas de son guide en s’étayant du bâton ferré. (…) Ainsi commence, par des recommandations bien pragmatiques, cette pittoresque description d’une excursion au glacier des Bossons en 1881.

L’article en images

  • Légende photo :

    Le parcours à dos de mulet long du chemin des Rives

  • Légende photo :

    L’arrivée au pavillon du glacier des Bossons

  • Légende photo :

    Le glacier des Bossons en 1866

    À sept heures du matin, les mulets étaient rangés devant le perron de l’hôtel, tenus en bride par leurs conducteurs. (…) Ils étaient bâtés de bonnes vieilles selles de cuir brun à dossier ajusté pour les femmes, solides, malgré leur air de délabrement. (…) Un garçon d’hôtel approcha le marchepied qui sert à se hisser sur les mulets ; les étriers furent mis au point, les sangles resserrées, les plis de jupe étalés convenablement, les capes imperméables et les châles fixés par des courroies sur le portemanteau, et tous ces préparatifs terminés, la petite caravane, composée de six mulets et de six guides se mit en marche, déplaçant les groupes de curieux qui la regardaient partir.

    On sort de Chamonix par le chemin qui mène à Servoz à travers la vallée ; on passe le pont de Pérolataz et on chemine sur des prairies où paissent les mulets qui ne travaillent pas ce jour-là. Ils arrivent en gambadant jusqu’au bord du sentier et semblent se moquer de leurs confrères à longues oreilles bâtés et chargés. Des ruisseaux courent parmi l’herbe avec une rapidité vivante et joyeuse. Des planches jetées d’un bord à l’autre servent de pont ; mais comme le poids de la bête et du cavalier pourrait les faire rompre, le guide y passe seul, tirant par la bride le mulet qui rechigne un peu et regarde de travers l’eau bouillonnant entre ses jambes. Les maisons et les chalets plantés sans ordre au bord de cette pelouse appartiennent au village des Bossons, habité en grande partie par les guides et leurs familles. Tout ce début de voyage est charmant. Bientôt les ondulations se prononcent, les pierres deviennent plus fréquentes et se transforment en blocs. Le pas des mulets se ralentit ; le plus ancien prend la tête et les autres se mettent à la file avec un ordre qu’il est impossible de déranger. Le cortège s’engage dans un bois de bouleaux, de frênes, de hêtres et autres essences prospérant aux zones de moyenne montagne. Le sentier s’en va un peu au hasard à travers les roches, les racines et les fûts des arbres, passant où il peut et faisant des détours pour adoucir les pentes. Sur la droite, on voit briller par l’interstice des feuillages l’écume argentée de la cascade des Pèlerins qui tombe de cinquante mètres dans un bassin presque circulaire, avec un grondement de Niagara.

    Avec cette chaleur, la montagne s’escarpe et le sentier ne parvient à la gravir que par de nombreux lacets à angles si brusques qu’ils fatiguent le voyageur presque autant que la monture. Les mulets s’écrasent sous leur croupe, pincent le sol de leurs sabots et grimpent comme des chats sur un toit, emportant leur cavalier presque couché sur leur col.

    Théophile Gautier – 1881 – Les vacances du Lundi