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Le Temple de la Nature

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Le Temple de la Nature (1795). C’est au Montenvers, à côté de la gare d’arrivée du petit train à crémaillère, que se trouve le Temple de la Nature, curieux bâtiment octogonal construit voilà presque 230 ans à l’initiative de Marc-Théodore Bourrit et considéré, aujourd’hui, comme le premier de nos refuges de montagne.

L’article en images

    Le Montenvers était, de temps immémorial, fréquenté par les chasseurs de chamois, les cristalliers ou les bergers qui, lorsqu’éclataient les orages, trouvaient abri sous une pierre.

    De Saussure en fait une description évocatrice : « Mais où couche-t-on au Montenvers ? On y couche dans un château, car c’est ainsi que les Chamoniards, nation gaie et railleuse, nomment par dérision la chétive retraite du berger qui garde les troupeaux de cette montagne. Un grand bloc de granit (…) est assis sur une de ses faces, tandis qu’une autre face se soulève en faisant un angle aigu avec le terrain et laisse ainsi un espace vide au-dessous d’elle. Le berger industrieux (…) s’est préservé des vents coulis en entourant cet abri d’un mur de pierres sèches ».

    En 1779, un gentilhomme anglais, Lord Blair, se retrouve contraint, pris par la tempête, d’y passer quelque temps. L’endroit doit être particulièrement inconfortable puisqu’il offre aussitôt quelques guinées pour qu’on l’améliore. On construit alors une cabane de planches avec une inscription, au-dessus de la porte : « Blair’s Hospital – Utile Dulci ». On l’appellera « L’hospice de Blair ». Goethe se reposera dans ce « château de Montenvers » où « assis au coin du feu, on peut, de la fenêtre, contempler toute la vallée de glace ».

    Voilà la description que nous en fait, en juillet 1791, une voyageuse du nom de Marie-Josepha Holroyd : « C’est un paysage magnifique et aucune description n’en peut rendre l’effet. Le glacier fait un grand contour vers les montagnes du fond et ressemble exactement à une mer démontée. Nous avions emporté avec nous un repas froid et du champagne, et nous avons bu à la santé du Prince de Galles dans l’Hospice de Blair, construit par un anglais de ce nom. »

    Ruskin, Chateaubriand, Forbes … d’illustres personnes viennent s’y reposer ou contempler la nature et le Livre des Voyageurs porte de bien beaux commentaires.

    Ainsi, cette petite strophe attribuée à l’Impératrice Joséphine en 1810 :

    « Oui je sens qu’au milieu de ces grands phénomènes,

                De ces tableaux touchants, de ces terribles scènes,

                Tout réveille l’esprit, tout occupe les yeux,

                Le cœur seul un instant repose dans ces lieux. »

    Ou ces vers de Jacques Delille (1738-1813)

    « Prismes éblouissants, dont les pans azurés

                Défiant le soleil dont ils sont colorés,

                Peignent de pourpre et d’or leur éclatante masse ;

                Tandis que, triomphant sur son trône de glace,

                L’hiver s’enorgueillit de voir l’astre du jour

                Embellir son palais et décorer sa cour ! (…) »

    La bâtisse, octogonale, est destinée aux promeneurs, naturalistes ou artistes qui se rendent sur les lieux. Ils peuvent y trouver non seulement un toit, mais aussi une cheminée – ornée d’un miroir ! -, une armoire contenant quelques ustensiles de cuisine, une table, des chaises, quatre lits de sangles, une lampe, une hache, des bâtons ferrés, un thermomètre, un baromètre, quelques bandages, de la charpie…

    Mais cette cabane est bientôt trop petite, et l’ambassadeur de Sémonville décide, après y avoir essuyé un très mauvais temps, d’entreprendre une nouvelle construction qui « offre aux savants, aux naturalistes, aux peintres, aux voyageurs de toutes les classes, de toutes les nations, un asile assuré ». Il charge Marc Théodore Bourrit de mettre son projet à exécution. Mais à peine l’a-t-il mandaté qu’il est fait prisonnier par ordre du gouvernement autrichien et enfermé dans une forteresse. Heureusement, un certain Félix Desportes, résident de France à Genève, reprend le projet à son compte. L’autorisation d’élever une construction au Montenvers est bientôt donnée par délibération du 10 Floréal an III (1895). Les plans sont édifiés par Jean Jacquet, sculpteur et les travaux durent six mois. L’aubergiste Tairraz prête son mulet pour charrier les matériaux (gypse, chaux …) qu’on ne peut trouver sur place. Il se fait aider par Jacques Balmat « des Dames » et Cachat « le Géant » qui notera plus tard : « M. Deporte est allé visiter sa petite maison, la Nature, au Montenvers. C’est moi, Jean Michel Cachat et Jacques Balmat qui ont fourni tous les matériaux pierre, sable et bois et le creusage de la maison pour le prix de 15 louis. Nous étions 57 hommes au Montenvers pour travailler, ils ont eu 18 sols et 6 deniers chacun. »

    Selon Charles Durier, «  …la saison était encore rigoureuse ; les ouvriers étaient accablés de fatigue, leurs yeux s’enflammaient, leurs lèvres devenaient livides, leurs mains, malgré les gants de peau de chamois, se gerçaient au vif; à plusieurs reprises il leur fallut pour se rétablir descendre dans la vallée. Mais Bourrit lui-même ne s’épargnait pas. Installé à Chamonix depuis le milieu d’avril, il montait au Montenvers par six pieds de neige… »

    Mais le Temple de la Nature, lui-aussi, va s’avérer très vite trop petit. Par ailleurs, il est victime de pillages successifs. Aussi le Conseil Municipal prend-il, en 1835, une nouvelle délibération qui décidera d’une construction plus spacieuse. « Il sera construit une petite maison au Montenvert pour servir d’asile et de repos aux voyageurs qui visitent les lieux remarquables qui environnent le Mont-Blanc. Ce bâtiment sera placé près du petit pavillon qui existe déjà ». C’est chose faite en 1840 et le nouveau refuge, érigé porte à porte avec le premier, se compose de quatre chambres, une salle à manger, une cuisine et une cave. Le Temple de la Nature est alors relégué au rang de buanderie ou d’écurie pour les mulets.

    Chacun connaît la suite, avec la construction, quarante ans plus tard, du grand Hôtel du Montenvers.

    Objet de restaurations successives (la dernière date de 1973) qui lui ont rendu son aspect initial et ses lettres de noblesse, le Temple de la Nature deviendra, pendant quelques temps, une dépendance du Musée Alpin. Gravures, objets ou autres photos sur l’histoire du Montenvers y seront exposés pendant tout l’été pour un public nombreux.