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Entrons dans la machine à remonter le temps et voyons le paysage de la vallée de Chamonix au XVIIIe siècle… Dans cet autrefois où l’essentiel de la population vit de la terre, la vallée de Chamonix ne propose pas les meilleurs atouts. On y trouve les glaciers, ces grosses langues gelées qui soufflent en permanence un air glacé sur les cultures.

Diaporama de l’article

  • Légende photo :

    Vieilles maisons de village à Argentière

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    Au village, au rythme des générations.

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    Raccard à Vallorcine

  • Légende photo :

    La porte du mazot taillée en « chapeau de gendarme ».

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    Une ferme aux Combes de Servoz.

  • Légende photo :

    Le village des Praz

    Entrons dans la machine à remonter le temps et voyons le paysage de la vallée de Chamonix au XVIIIe siècle… Dans cet autrefois où l’essentiel de la population vit de la terre, la vallée de Chamonix ne propose pas les meilleurs atouts. On y trouve les glaciers, ces grosses langues gelées qui soufflent en permanence un air glacé sur les cultures. Parfois même, ces gueules de dragon crachent des rochers et roulent de gros blocs de glace jusque dans les champs ! Par ailleurs, le fond de la vallée, étroit, est enchâssé dans des versants de montagne très rapides qu’il est bien difficile de travailler. Seuls, les « bois noirs », les forêts d’épicéas, s’y développent avec bonheur.

    Les grands glaciers qui occupaient le fond de la vallée ont disparu, modelant la forme du terrain en auge. C’est là qu’ont été construites les maisons, groupées à l’abri des couloirs d’avalanches. Comme dessinées par le même architecte, elles sont bâties avec les matériaux trouvés sur place. On prélève dans la rivière les « boules d’Arve« , blocs de granit roulés par les glaciers et les torrents glaciaires, Arve et Arveyrons. A Servoz, on préfère le calcaire provenant des éboulis des Fiz tandis qu’à Vallorcine, ce sont les schistes des Aiguilles Rouges et des Perrons. Les mélèzes, sapins ou épicéas, bûcheronnés en « dure » lune (début de lune descendante en automne en basse sève), fourniront le bois nécessaire à la construction du bâti.

    Les maisons (on n’utilise ni le terme de fermes ni celui de chalets), de forme ramassée, se composent d’un soubassement de pierres cimentées à la chaux pouvant mesurer jusqu’à quatre-vingts centimètres d’épaisseur abritant le logement exigü des familles ainsi que l’étable. Au-dessus se trouve le fenil dont les parois de bois, planches épaisses et madriers, forment avec le soubassement un angle rentrant de quelques degrés. Cette particularité, agissant comme une contre-force sur les murs, assure une plus grande solidité à l’ensemble de la bâtisse et lui permet de résister à son propre poids et à celui de la charpente. La toiture à deux pans est peu pentue, la neige s’y accumulera et constituera une efficace protection contre le froid. Une « cort’na » (courtine), entrée ouverte, distribue les différentes parties de la maison : d’un côté l’étable et le fenil auquel on accède par une échelle, et de l’autre côté les pièces d’habitation.

    La maison peut être flanquée d’une grange, modeste bâtiment de bois monté sur un muret de pierres. Des planches disjointes agrémentées parfois de découpes artistiques en forme de cœur, trèfle ou losange assurent la ventilation indispensable au fourrage.

    Le grenier, en bois ou en pierre, possède les mêmes caractéristiques que la grange. Destiné à entreposer le grain, il recèle également les objets, papiers ou vêtements précieux de la famille.

    Le mazot, appelé « regat » ou « raccard » à Vallorcine est construit entièrement de madriers empilés et ajustés en queue d’aronde ou à demi-bois. De trois à quatre mètres de côté, parfois sur deux niveaux, c’est un chalet-miniature pittoresque que l’on a perché sur quatre pierres formant pilotis pour le préserver des rongeurs. Il faut se baisser pour entrer par l’unique ouverture, une porte arrondie ou en forme de « chapeau de gendarme« .

    Autour des hameaux, les champs et les prés dessinent leur quadrillage de petites parcelles de terre. Les carrés de potagers, les « courtils« , situés près des maisons et des étables, sont protégés des vents de bise et reçoivent une bonne quantité d’engrais. Ce sont les parcelles les plus chères.

    Cette évaluation par le Chapitre de Sallanches des biens de Chamonix donne une échelle de valeur bien différente de celle d’aujourd’hui : une maison ne vaut que 5 fois plus cher que 3000 m2 d’alpage et vaut 4,5 fois moins cher que 3000 m2 de jardin (courtil).

    Maison : 200 Livres

    Grange :  50 Livres

    Four : 20 Livres

    Journal de terre : 600 Livres

    Journal de pré labourable :  400 Livres

    Journal de pâture en plaine :  200 Livres

    Journal de bois noir (forêt d’épicéas) : 20 Livres

    Journal de jardin :  900 Livres

    Journal d’alpage en montagne :  40 Livres

    Vers 1760, 1 fond de vache : 60 à 90 Livres

    NB : 1 journal = environ 3000 m2

    Très étroit, le fond de vallée est constitué de sol peu fertile. Les terres qui « rendent » bien sont rares donc précieuses. Les carrés de culture alternent avec les prés de fauche pour constituer un patchwork joliment coloré… mais pas très riche. Quelques céréales, seigle et orge essentiellement, appelées « bleds » sur les manuscrits anciens, voisinent les fèves, les raves et, plus tard, les pommes de terre.

    Dans cet environnement peu favorable, on ne peut pas se permettre de négliger une ressource naturelle : toutes sont bonnes à prendre pour peu que ce prélèvement ne compromette pas l’avenir.

    Au pied des épicéas, ou mieux encore, au pied des mélèzes aux aiguilles caduques, de petits amas d’aiguilles tapissent le sol chaque automne, lesquelles constituent une excellente litière pour les bêtes à l’étable. Plus tard, mêlées de terre, de poussière ou de pollen, elles composent une espèce d’engrais, pauvre mais toutefois assez recherché pour les potagers. C’est « l’esternet » ou les « étarnés« . L’on confie le plus souvent aux enfants la charge d’aller « aux étarnés » qu’ils ramassent à l’aide d’un petit râteau à larges mais courtes dents métalliques.

    Le traditionnel « feuillerin » concerne, comme son nom l’indique, la ressource que l’on peut tirer des feuilles des arbres. Vers la fin de l’été, il est d’usage de « faire les fascines » en coupant, en pleine maturité, de petits rameaux encore feuillus de noisetier ou de coudrier. Noués en fagots par un lien d’osier, ils sont mis à sécher à la grange. L’hiver venu, les rameaux sur lesquels les feuilles sèches sont restées accrochées feront le régal des chèvres.

    Faute de paille, les feuilles sèches sont également utiles comme litière pour le bétail. La mémoire collective cite cet ancien du pays qui n’hésitait pas à « coter » avec plusieurs étais une vieille verne plus qu’aux trois quarts pourrie, car elle donnait encore une quantité remarquable de feuilles à l’automne et se trouvait à proximité du chalet.