Le Tour, un hameau sous la neige
RUBRIQUE : La neige, Le ski, Les gens d’ici, Les métiers
S’il n’est pas le plus haut des Alpes, le village du Tour est assurément l’un des plus enneigés. Situé pratiquement aux sources de l’Arve, il est nécessaire pour y arriver depuis le Fayet de franchir plusieurs verrous glaciaires : celui des Egratz, celui du pont Sainte-Marie, celui du Lavancher et celui du pont Boveray.
Le plus haut de la vallée, ce hameau se distingue également comme l’un des plus pittoresques. Ramassées autour de l’ancienne chapelle, ses maisons de pierre et de bois reflètent l’humilité face à la nature quand elle se déchaîne, mais témoignent aussi de la robustesse que donne à toutes choses la rigueur du climat. On ne se lasse pas d’arpenter ses ruelles, admirant, à droite et à gauche, un balcon magnifiquement fleuri en été, une fontaine, ou, en hiver, le cristal des glaçons qui pendent aux gouttières, ou encore le velouté du tapis de neige fraîchement tombée.
Diaporama de l’article
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Légende photo :
1995 Le retable restauré par René Simond de la chapelle du Tour avec la toile de St Ours peinte par Lionel Wibault
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1957 Le télésiège à deux places menant du Tour à Balme
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1957 le téléski des Plânes implanté dans les prés derrière le village
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XIXe le glacier du Tour selon une gravure de Cuvillier
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Légende photo :
1967 La nouvelle gare de départ de la télécabine 4 places Le Tour-Balme
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1956 – Le hameau du Tour
S’il n’est pas le plus haut des Alpes, le village du Tour est assurément l’un des plus enneigés. Situé pratiquement aux sources de l’Arve, il est nécessaire pour y arriver depuis le Fayet de franchir plusieurs verrous glaciaires : celui des Egratz, celui du pont Sainte-Marie, celui du Lavancher et celui du pont Boveray.
Le plus haut de la vallée, ce hameau se distingue également comme l’un des plus pittoresques. Ramassées autour de l’ancienne chapelle, ses maisons de pierre et de bois reflètent l’humilité face à la nature quand elle se déchaîne, mais témoignent aussi de la robustesse que donne à toutes choses la rigueur du climat. On ne se lasse pas d’arpenter ses ruelles, admirant, à droite et à gauche, un balcon magnifiquement fleuri en été, une fontaine, ou, en hiver, le cristal des glaçons qui pendent aux gouttières, ou encore le velouté du tapis de neige fraîchement tombée.
Dans les années 1960, l’ancienne chapelle, vétuste, ne peut plus contenir les fidèles qui s’y pressent chaque samedi soir. On la pense même irréparable et vouée à la démolition. Et pourtant…
1685 : Acte de fondation de la chapelle du Tour, la plus ancienne du Prieuré
En cette fin du XVIIe siècle, les paroissiens du Tour doivent parcourir plus de dix kilomètres pour se rendre aux offices le dimanche : un trajet beaucoup trop long. À cette difficulté s’ajoutent les dangers d’avalanches rendant le chemin redoutable. On cite, pour mémoire, la terrible avalanche du 16 janvier 1634 qui fait onze victimes, détruit neuf maisons et cinq greniers… C’est pourquoi, avant même la création de la paroisse d’Argentière, les habitants du Tour décident de fonder leur chapelle, acte notarié à l’appui : dédiée à saint Bernard de Menthon et à saint Ours, elle dispose d’un capital de cinq cents florins de Savoie ; les habitants en assurent l’entretien, fournissent linge et luminaires nécessaires aux cérémonies et les recteurs de la Collégiale de Sallanches se doivent de célébrer cinq messes par an au moins.
Blottie au milieu des maisons, la vieille chapelle est bien, depuis près de trois siècles et demi, au cœur du village et de ses habitants et on a du mal à en imaginer un autre emplacement. Vieilles gravures ou photos jaunies nous montrent ses différents aspects extérieurs : clocher en ancelles, toiture en avancée sur la porte d’entrée, petites fenêtres de chaque côté de la porte…
Lors de sa restauration, on va s’attacher à lui redonner son identité primitive. Les décors peints de la voûte sont fidèlement transposés : couleurs, formes, motifs… et les tons utilisés – or, bleu-nuit ou rouge-brique – se calquent sur les reflets du marbre et des dorures du retable, ainsi que sur le drapé de la chasuble qui habille le saint patron. Cumulant ses talents d’ébéniste et ses connaissances historiques en matière d’art et d’architecture, René Simond se charge de la réparation du retable, effaçant les traces des travaux successifs et redonnant à l’ensemble une unité de style. S’inspirant des feuillages latéraux avec angelots ainsi que du style Empire de la partie supérieure, il reconstruit les faux marbres encadrant le tabernacle et son symbolique pélican. C’est à l’artiste-peintre Lionel Wibault qu’est confiée la tâche de représenter, sur le tableau central, le saint patron de la chapelle, archidiacre irlandais en poste à Aoste. On le voit ici portant ses vêtements sacerdotaux et tenant, traditionnellement, son sceptre dans la main gauche et une bible ouverte dans la main droite. À ses pieds se tient un ours, animal qui rappelle le nom du saint protecteur, et symbolise la dévotion des fidèles. Un choucas, oiseau-fétiche des montagnards, est posé sur son épaule, privilège des hommes au cœur pur.
1949 : Effondrement du glacier du Tour
Ce 14 août 1949, le temps est beau. Sans être caniculaire, le thermomètre affiche depuis le début de l’été un mercure plutôt à la hausse. Est-ce la raison qui incite ces six jeunes campeurs à se rapprocher du glacier afin de bénéficier du souffle frais qui descend de la montagne ? Ils sont heureux d’avoir trouvé le coin idéal, un peu à l’écart du village, pour planter leur tente afin de passer une nuit paisible sous les étoiles.
Peu après quatre heures de l’après-midi, alors que rien ne le laissait présager, se produit le drame. Un craquement énorme retentit et une avalanche de blocs de glace pulvérisés en un puissant aérosol se détache du front suspendu du glacier, se précipitant sur le soubassement rocheux comme sur un toboggan pour terminer sa course sur le replat du village, ensevelissant les malheureux jeunes gens.
On évalue à deux millions de mètres cubes la quantité phénoménale de glace qui, ce jour-là, s’est ruée, en quelques minutes, d’une hauteur quasi verticale de huit cent mètres, depuis la ligne de cassure à 2200 mètres d’altitude jusqu’à la moraine. Telle une cascade, la glace pulvérisée ruissellera encore pendant de longues minutes, plâtrant le rocher d’une fine pellicule blanche.
Il est à peine 17 heures…
Il neige, il neige, il neige…
Aujourd’hui, chacun de nous regrette les hivers d’autrefois au cours desquels il nous était impossible d’imaginer, sauf exception rarissime, de passer « Noël au balcon ».
Ce n’est pas le cas au Tour où, bon an mal an, l’enneigement reste abondant de décembre à avril et peut atteindre jusqu’à quatre mètres d’épaisseur. Il faut alors pelleter plusieurs fois par jour pour dégager les étroits chemins entre les maisons, rejeter la neige dans le lit de l’Arve, dégager ce qui peut l’être grâce au « triangle » (herse agricole recyclée en chasse-neige) tiré par un mulet… Amoncelée couche après couche sur les toits des maisons, la neige tassée devient trop lourde pour les charpentes pourtant solidement construites. C’est le moment de « déneiger les toits ». La couverture neigeuse très compacte doit alors être découpée à la scie en gros blocs que l’on peut ensuite faire basculer au sol. La poutraison s’en trouve allégée de plusieurs tonnes !
En 1970, l’hiver est particulièrement rude. Durant les mois de février et mars, il neige pratiquement chaque jour. Les épaisseurs sont impressionnantes, les cristaux légers s’amoncelant parfois au rythme de dix centimètres à l’heure… Il neige « à gros patins » et on redoute d’énormes avalanches… qui ne tombent pas. Le Dauphiné Libéré titre : « 14 mètres de neige sont déjà tombés, en plusieurs fois, sur le village du Tour depuis le début de l’hiver. Certains habitants sortent de chez eux par un tunnel… Dans les champs entourant le village, la hauteur de la neige tassée dépasse 3,50 mètres. Cela pose aux habitants de sérieux problèmes. Sous l’effet du vent, la neige forme des corniches qui tendent à se rejoindre d’un toit à l’autre comme à l’entrée du village près de la chapelle ».
Les joies du ski
Un accès facile, un enneigement régulièrement satisfaisant hiver après hiver, un village accueillant qui s’ouvre, petit à petit, aux touristes : tous les atouts sont réunis pour offrir aux adeptes du ski les remontées mécaniques qu’ils attendent. Le bassin versant de l’Arve a modelé, du côté de Balme et Charamillon, de belles combes neigeuses, idéales, offrant une vue prodigieuse sur toute la vallée et les montagnes qui la couronnent jusqu’au Mont-Blanc.
La petite histoire rappelle la sortie du Docteur Michel Payot qui, avec Joseph Ducroz, a réalisé en 1902 l’aller et retour à ski au col de Balme en quatre heures. Il faut toutefois attendre 1937 pour voir l’installation du premier téléski, une initiative signée Charles Viard (marchand de bois à Sallanches et familier du transport par câble) (voir La Vallée N°6), et de Paul Arpin, hôtelier à Trélechamp et Montroc. Mais les inconditionnels de la godille doivent tout de même commencer par monter à pied, skis sur l’épaule, depuis le haut du village jusqu’à la cabane de départ.
Après-guerre, les temps changent, la montagne et les activités de plein air s’ouvrent aux citadins de toutes catégories sociales. L’hôtel L’Igloo de Monsieur Pillot accueille les classes de neige et les écoliers bénéficient d’un petit téléski. C’est le vrai clap de départ avec l’arrivée de plus en plus importante des touristes grâce à la mise en place des vacances scolaires d’hiver. Les habitants du Tour s’organisent, ouvrent commerces, locations de skis, restaurants, d’autres obtiennent leur diplôme de moniteur de ski… tandis que les aménagements et investissements se poursuivent.
En 1957, Charles Viard (cité ci-dessus) construit un télésiège à deux places hissant les skieurs à Charamillon et aux Autannes. Les sièges se présentent parallèlement au câble et se déplacent à la vitesse de l’escargot. On propose une couverture aux plus frileux qui arrivent congelés mais heureux au terme d’une montée de deux mètres par seconde…
Enfin en 1967, au sommet du village est construite une nouvelle gare de départ de remontée mécanique. Désormais les « œufs » multicolores, petites cabines de 4 places, embarquent été comme hiver les petits et les grands vers Charamillon et le col de Balme.
À la même période l’on transforme, pour les séances d’initiation au ski, les prés pâture de la Vormaine, en arrière du village, en champs de ski. Peu pentus, dénués de reliefs et toujours bien enneigés, on y installe des « tire-fesses », l’idéal pour les adultes débutants et les « Piou-Piou » de l’école de ski.
Les avalanches
Il paraît impossible de parler du village du Tour sans rappeler les nombreuses avalanches dont ses habitants ont été victimes : 10 mars 1931, 19 février 1960, 5 avril 1962 et enfin, 2 février 1978 où la coulée meurtrière qui s’est déclenchée aux Posettes va suivre le couloir des Nantets et frapper le village du Tour, détruisant un chalet, en endommageant un autre et occasionnant la mort de cinq personnes. Le four banal à l’entrée du village est lézardé et plusieurs voitures en stationnement subissent des dégâts considérables, soulevées par la force du souffle (« cui ») et projetées au loin, comme renversées par un très fort séisme.
« Aujourd’hui, on a bien du mal à imaginer ce qu’enduraient les gens dans ce haut de vallée aux hivers très enneigés, avec si peu de confort et de ressources pour vivre » écrit Guy Cachat, responsable du déneigement lors de cette avalanche meurtrière du 2 février 1978.
« Ces avalanches sont un vrai traumatisme pour les habitants qui garderont toute leur vie cette nuit de cauchemar dans leur mémoire » relate, à son tour, André Ducroz dans ses mémoires. Ce même jour, le village est cerné de toutes parts par les coulées de neige : une avalanche issue des Combes de l’Arve bouscule la télécabine de Charamillon ; pendant la nuit, une autre, venue du glacier pénètre dans la salle à manger, heureusement déserte du chalet du CAF et détruit au passage les installations du téléski de la Vormaine : câbles, pylônes, chalet de billetterie…
Les 2 et 3 février 1978, il semble aux habitants du Tour que, de tous côtés et sans répit, des avalanches catastrophiques pilonnent leur village !…
Témoignage personnel :
Argentière, 7 heures du matin ce 2 février 1978
À la mairie-annexe, la salle des mariages habituellement déserte s’anime. Les unes après les autres, une dizaine de personnes entrent à grand bruit, qui tapant ses chaussures pour faire tomber les « socons » (sabots de neige), qui interpellant son voisin, qui secouant la neige de son manteau… C’est le rendez-vous de la commission de sécurité où siègent les spécialistes de la vallée : Gilbert Chappaz, conseiller municipal, président de la commission sécurité ; Paul Ravanel, adjoint spécial d’Argentière ; Marcel Blanc, conseiller municipal habitant à Montroc ; Philippe Ancey, maire de Vallorcine, venu à pied en longeant la voie ferrée sous le tunnel des Montets ; Guy Cachat, mandaté par la commune pour le déneigement ; Robert Petit-Prestoud, commandant du centre de secours ; le responsable de la Direction Départementale de l’Equipement en poste à Chamonix…
L’heure n’est pas aux palabres et la réunion sera courte, efficace. Les informations collectées par les uns et les autres sont rapidement échangées, on fait le point : l’épaisseur de la couche de neige, la présence de vent en altitude, la qualité des cristaux, l’humidité de l’air… Tous les critères sont exposés, discutés et rapidement analysés pour décider de la fermeture des routes exposées aux risques d’avalanches : le col des Montets, la Fis, les Biens, la Verte, les Nants, le Betty, le tunnel, les Gaillands… D’ores et déjà sont prévus des convois pour le passage des voitures au niveau de « la Verte » afin que toutes les personnes souhaitant rentrer à domicile puissent le faire en toute sécurité. Pourtant, malgré ces précautions, l’avalanche se précipite vers onze heures du matin, coupe la route sur une longueur de cent cinquante mètres et ensevelit quatre touristes en vacances au Lavancher.