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Le refuge du Lac Blanc

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Né en 1892, Louis Mouchet habite le hameau de Lioutraz. Il est guide, comme tout le monde, agriculteur, comme tout le monde. Il est aussi menuisier : c’est un métier très utile pour les montagnards. Lorsqu’il accompagne ses clients en « course » au Belvédère, à l’aiguille de la Persévévance ou à l’aiguille des Chamois, il a l’habitude, comme ses collègues, de faire halte ici, au bord du lac. Le panorama y est grandiose, on peut s’arrêter pour le tour d’horizon et le casse-croûte. Lui-même « consort » à l’alpage des Chéserys, il connaît bien le coin. Aussi décide-t-il de soumettre son projet à la commission ad hoc. Son projet ? Construire une buvette où les alpinistes et les promeneurs pourraient trouver à se désaltérer agréablement dans un cadre sympathique. De la buvette au refuge, il n’y a qu’un pas : la commission accepte l’idée et donne à l’adjudicataire un droit d’exploitation gratuite pendant 30 ans. À charge pour lui de construire le bâtiment, ce qui l’obligera à vendre quelques biens à Argentière.

L’article en images

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    Les matériaux sont montés à dos de mulet

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    1963 au Lac Blanc

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    La stèle du cimetière d’Argentière rappelant le drame de 1943

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    1959

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    Après l’avalanche de janvier 1986 qui a étêté le toit et l’étage du refuge.

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    Entre agro-pastoralité et tourisme…

    Construction du refuge

    Bien sûr, les matériaux principaux sont trouvés sur place. Ainsi, les pierres, et le sable que l’on extrait derrière le grand lac et que l’on charge sur des traîneaux pour le glisser, avant la fonte des glaces, jusque sur le chantier. La bonne saison est courte, il faut faire vite pour réaliser les travaux.

    « Il y avait beaucoup de monde, se rappelle Thérèse Bellin-Mouchet. Georges Devouassoux, dit « à Pic » s’occupait de la maçonnerie, ainsi qu’Albert Simond. Mon père lui-même faisait toute la menuiserie. Et puis il y avait les porteurs, avec leurs mulets, qui acheminaient tout le matériel nécessaire, le bois, les clous… Ils avaient des charges énormes, car les mulets ne pouvaient monter que jusqu’aux Chéserys. Plus haut, le sentier était trop escarpé. À l’époque, on passait plus à gauche, dans les rochers. Le record de charge revient à Georges Simond, qui, sur son dos, a porté le premier fourneau de fonte qui pesait plus d’un quintal ! »

    Le refuge ouvre en 1939. À l’étage se trouve le grand dortoir, avec 24 places, et le dortoir des guides, avec 6 places. L’ambiance est bonne, les soirées sont agréables et les guides se plaisent à passer la nuit au refuge. Hélas, dès le 1er septembre Louis Mouchet est réquisitionné et le refuge fermera ses portes pendant toute la durée de la guerre.

    Le 28 novembre 1943 : drame de Jeunesse et Montagne au Lac Blanc

    Association née de l’Armée de l’Air, Jeunesse et Montagne regroupe des jeunes encadrés par d’anciens officiers.

    Au camp des Frasserands, le commandant Thollon souhaite faire faire une dernière belle balade à ses jeunes avant leur retour sur Toulouse. Le 28 novembre, la clé du refuge en poche, ils partent pour un pique-nique au Lac Blanc. Le temps est clair. Vers 10 heures, le ciel blanchit. À midi, alors qu’ils commencent à manger, les premiers flocons apparaissent, légers tout d’abord, puis de plus en plus épais. En une heure, 10 centimètres de neige recouvrent le sol. Le temps de finir le repas tiré des sacs et l’on entreprend la descente. Mal expérimentés, dans la neige qui opacifie le ciel et masque les reliefs, les jeunes gens perdront très vite la trace du sentier.

    Dans la vallée, on les attend. 19 heures passent…

    Vers 20 heures, on prévient le camp que des cris ont été entendus dans la montagne, depuis l’hôtel du Col des Montets. Aussitôt une première caravane se met en route et monte, par le sentier du Col, à la rencontre des égarés. La caravane arrive sous la falaise vers 10 heures du soir, à portée de voix des jeunes qui, eux, se trouvent au-dessus. On leur recommande de rester sur place, de ne plus bouger et d’attendre les sauveteurs qui vont redescendre et emprunter un autre chemin pour les rejoindre.

    Une autre caravane se mettra en route aussitôt. La neige continue de tomber, silencieusement mais inexorablement. Au petit matin, quand les sauveteurs arrivent enfin, la couche atteint largement plus d’un mètre d’épaisseur. Couchés dans la neige, huit des jeunes sont endormis pour toujours et quatre autres sont portés disparus. Au printemps suivant, un berger d’Argentière découvrira un sac à dos. Les recherches dans ce secteur permettront de retrouver leurs corps.

    Les belles années

    « Nous avons réouvert après la guerre, raconte Thérèse. J’y travaillais avec mon père et ma sœur. Ma mère restait à la maison et réceptionnait les différentes denrées qu’il fallait répartir sur les mulets pour le portage. Il y avait mon frère Marius avec notre propre mulet. D’autres muletiers montaient avec lui : Méril Ravanel et son célèbre mulet « Kiki », Albert Simond et André Devouassoux, dit « à Daubert ». En saison, ils faisaient le trajet tous les jours ! »

    Avant la construction du téléphérique de la Flégère, l’accès au Lac Blanc se fait plutôt par le haut de la vallée et les sentiers les plus fréquentés, du Col des Montets ou d’Argentière, passent par les Chéserys. Mais au-delà des chalets d’alpage, ni les mulets ni les vaches ne peuvent emprunter l’étroit sentier rapide. Sur les maigres pelouses entourant le Lac Blanc seuls paissent des moutons en transhumance venus du lointain pays d’Arles avec leur berger Locat. Un sentier plus large sera tracé par la suite par le gardien du refuge, afin que les mulets puissent porter leurs charges jusqu’en haut.

     

    « Le Lac Blanc, c’est très important pour moi, confie Marilou Stamos. J’y ai travaillé plusieurs années de suite alors que j’étais une toute jeune fille. Embauchée pour garder les enfants de la fille du gardien, j’y accomplissais toutes sortes de tâches. Servir et desservir, ranger, nettoyer… À l’époque, le refuge servait presque exclusivement aux guides qui venaient y passer la nuit avant leur course dans les Aiguilles Rouges. L’approvisionnement se faisait grâce aux mulets, mais aussi par toute ce qu’on pouvait avoir sur place. Ainsi, le lait était-il directement tiré de la quinzaine de chèvres que le gardien montait avec lui. Il montait aussi ses poules, pour les œufs. On avait construit, un peu à l’écart contre le rocher, un « écurie », sommaire cabane de bois, pour abriter ce petit bétail et la basse-cour. »

    La construction du téléphérique de la Flégère portera à deux heures de marche ce petit paradis. La construction de la télécabine de l’Index raccourcira encore le délai : 30 minutes suffisent. Rien d’étonnant alors que, depuis, des milliers de visiteurs se pressent, chaque jour de l’été, en longues processions vers ce lieu enchanteur.

    Les remontées mécaniques réduisant les marches d’approche, les guides ne passent plus guère la nuit dans le refuge. Les randonneurs ont pris leur suite, marquant là une étape intéressante sur leurs itinéraires de haute altitude.

    Lorsqu’on apprend, un matin de janvier 1986, que le refuge du Lac Blanc a été emporté par une avalanche, personne n’ose le croire. Son emplacement est, aux yeux de tous, absolument sans risque. On comprendra par la suite que la coulée énorme balayant tout le premier étage (qui émergeait de la neige) a pu être déclenchée par une secousse sismique. En effet, ce tremblement de terre particulièrement ressenti en Valais suisse avait son épicentre au Buet.

    Le nouveau refuge, construit sur une éminence rocheuse proche du lac, ouvre ses portes en 1991. Elégante construction de pierre et de bois, c’est aussi pour répondre aux exigences du troisième millénaire qu’il est bâti : confort des nuitées et respect de l’environnement. C’est ainsi qu’un projet de picot-centrale y a été étudié dont le rôle sera de traiter les eaux usées tout en fabriquant de l’électricité, laquelle électricité autorisera chauffage et douche… La fin des travaux du deuxième bâtiment signera, par ailleurs, la démolition complète de l’ancien refuge, ou tout au moins de ce qu’il en reste : un rez-de-chaussée rafistolé sur lequel on a hâtivement jeté un toit ! Le site du Lac Blanc retrouvera son image originelle, celle du cirque glaciaire d’autrefois, protégé au sein d’une réserve naturelle où la nature gardera tous ses droits…

    Extrait du livre « Lac Blanc » par Joëlle Dartiguepeyrou (Paccalet)