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1914 : Chamonix entre Belle Epoque et Pastoralisme (2)

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1914 : La population reste fondamentalement rurale. L’argent des touristes s’ajoute aux revenus agricoles mais ne les remplace pas complètement. On s’accroche à sa terre ; les récoltes, le bétail à l’étable sont des valeurs sûres. Les alpages permettent d’inalper les bêtes, économisant les prés de fauche de fond de vallée. Tous les herbages sont pâturés, aussi haut et aussi loin que l’on puisse y conduire les troupeaux.

Diaporama de l’article

  • Légende photo :

    Classe 1908 – Vallorcine

  • Légende photo :

    Avril 1914 – Avalanche aux Chosalets

  • Légende photo :

    2 avril 1914 – Avalanche à la Frasse

  • Légende photo :

    Chamonix, l’église entourée du cimetière ancien, transféré au Biollay en 1913

    1914, la population reste fondamentalement rurale. L’argent des touristes s’ajoute aux revenus agricoles mais ne les remplace pas complètement. On s’accroche à sa terre ; les récoltes, le bétail à l’étable sont des valeurs sûres. Les alpages permettent d’inalper les bêtes, économisant les prés de fauche de fond de vallée. Tous les herbages sont pâturés, aussi haut et aussi loin que l’on puisse y conduire les troupeaux. Près des maisons, on privilégie les courtils (potagers), puis, plus loin on déploie le grand damier des champs cultivés de céréales, pommes de terre ou betteraves et des prés. Le paysan va chercher à Passy ou à Martigny ce qui manque à une vie autarcique complète : les fruits, la vigne, le blé…

    Au début septembre 1913, Marcel Claret, 16 ans, écrit à son frère aîné: « Ces jours-ci on moissonne en force et on commence déjà à semer. Lundi je suis allé chercher Le Lion à la montagne et on a gardé les deux autres en-bas et on a vendu le lait au Chatelard. Elles ont rapporté passé 150 f. Le Lion on l’engraisse pour tuer l’automne, alors on en a acheté une autre, celle de l’oncle, la nommée Moutelin, celle qui a fait le veau le printemps. Il n’y a point eu de reines à cornes de la montagne, la reine à lait a été celle d’Alexandre, le Marquis. Le veau du Lion est toujours chez nous, on ne peut pas le mener en champ parce qu’il tombe à tout moment, il a mal aux reins et ne voit pas clair, et nous ne saurons pas qu’en faire que de le tuer ou de le vendre en automne. C’est bien dommage, il est pourtant gros et gras c’est une perte pour nous, tant pis. On n’a pas revu la chèvre noire, on ne sait pas ce qu’elle est devenue. Quant aux pigeons, ils vont bien. J’ai arrangé le pigeonnier d’en haut et j’y ai mis la première couvée. La 2e couvée, il y en a rien qu’un, il est la même chose que celui d’Emile, ça fait que j’en ai déjà cinq qui volent dehors. La troisième couvée est encore dans les oeufs, j’attends Emile qui vienne pour les mettre dans son pigeonnier. »

    Mais, depuis un mois déjà, on commence à connaître quelques difficultés dans le monde paysan : l’armée française se met à ponctionner des hommes pour répondre à la montée des effectifs en Allemagne. Les jeunes conscrits sont enrôlés pour trois ans de service militaire. C’est long. Au pays la famille manque de bras, il faut se faire aider par les adolescents – garçons ou filles – ou abandonner certaines terres. On déserte les alpages les plus éloignés, on redoute les fenaisons et les moissons devenues trop pénibles. Pourtant, au sein de la famille, on est très fier de son conscrit. Le conseil de révision l’a déclaré apte, « bon pour le service« , l’épreuve d’initiation a été réussie avec brio par le fils de la maison. La photographie en studio immortalisera ce passage à l’âge adulte.

    En groupe, les nouveaux conscrits vont se faire admirer et montrer, auprès des habitants du village leur nouveau statut d’adulte. Ils accrochent la cocarde bleu-blanc-rouge au revers de leur veston, et ainsi identifiés, rendent visite dans toutes les maisons, se manifestant bruyamment auprès de tous. Sonneries de clairon, chants, rires et cris les accompagnent tout au long de leur virée où l’acool est – pour une fois – autorisé. Pour chacun d’eux, c’est la signature d’appartenance à un groupe – la classe – un clan constitué dès l’école primaire devenu officiel.

    En ce début de 1914, la montagne gronde et vomit de grosses avalanches, au col des Montets, à Argentière, aux Chosalets et à la Frasse.

    « Une grande avalanche est descendue pendant la nuit du côté des Aiguilles Rouges, a traversé la grande route à Tré-les-Champs et a démoli une bonne partie de l’hôtel appartenant à M. Charles Albert dit Bitte ; cet hôtel a été reconstruit pendant la saison suivante. Une partie de la même avalanche, croit-on, est descendue au sommet d’Argentière a complètement rasé une villa à gauche de la route et a pénétré dans le bâtiment de la coopérative causant bien des dégâts. La même avalanche était venue il y a cent et deux ans. Une autre avalanche est descendue au hameau de la Rosière et tout à côté des maisons des Chosalets déposant d’énormes blocs de granit, du bois de mélèze et toutes sortes de débris, couvrant de grandes étendues de terrains labourés à côté des maisons. Beaucoup de personnes sont montées de Chamonix pour voir ces énormes avalanches.

    Une énorme avalanche est descendue du glacier des Nantillons ou de l’aiguille de l’M par le torrent du Grépon ; le déplacement d’air appelé le coui a tout jeté par terre la forêt depuis bien au-dessus des Planards jusqu’au fond de la montagne où il est resté quelques sapins debout. Tous les chalets des Planards ont été rasés. L’avalanche est descendue près des maisons de la Frasse où elle a déposé des quantités de pierres et de terre.

    Une autre est descendue du glacier de Blaitière par le torrent du Fouilly près du Biollay et tout à côté du nouveau cimetière. »

    Un relief abrupt, un enneigement important, des avalanches dévastatrices – quand elles ne sont pas meurtrières – un climat austère et froid… ces conditions de vie difficiles ont forgé au fil des siècles des hommes vigoureux. Même s’ils n’exercent pas le métier de guide, ils sont habitués à marcher en montagne, sur terrain instable ou éboulis, toujours à la recherche de quelque bête égarée quand ce n’est pas en quête de beaux cristaux de roche.

    Les guides, chaudement vêtus de drap de laine, sont chaussés de brodequins à clous adaptés à la neige et à la glace.

    Animaux de trait, utilisés pour les labours ou le bûcheronnage, les mulets se sont vus transformés en montures pour les visiteurs. Ils ont alors, pour des raisons de sécurité, fait l’objet chaque printemps d’une sévère revue par les autorités vétérinaires départementales. Ainsi étaient éliminées les bêtes « capricieuses« , « colériques » dont on craignait qu’elles s’accommodent mal de leurs cavaliers.

    Dès 1909, c’est l’armée qui se montre intéressée par les mulets et les chevaux. Le décret du 28 juin 1910 relatif aux réquisitions militaires impose aux maires de « procéder chaque année au recensement des chevaux et mulets« . Les propriétaires sont sommés par voie d’affiche de venir déclarer en mairie avant le 1er janvier toutes les bêtes en leur possession. Seuls en sont exclus les chevaux de moins de 4 ans et les mulets de moins de 2 ans ainsi que les bêtes qui auraient déjà été réformées par la Commission de classement de l’Armée.