Aux Pèlerins, les habitants forment une vraie communauté, en dépit des nombreuses raisons qui pourraient les séparer. Pendant des décennies, au moment de la fonte des glaces, le torrent de la Creusaz déborde et ravage ses berges, changeant même de lit ! Les avalanches font de même, descendant de part et d’autre de la vallée. L’Arve divague, crée des îlots, emporte le pont des Gaillands. La route du tunnel coupe le village, isolant tout un quartier. Les habitants natifs de la vallée voient les constructions flirter avec leurs champs et des « étrangers » envahir leur école.

Pourtant, en dépit de toutes ces contraintes, un vrai esprit village naît au cœur des immeubles HLM, au milieu de ce tourbillon humain qui compte presque le quart des habitants de la commune de Chamonix.

Ici, on n’est (naît) pas forcément Pèlarni[1]. Mais on est sûrement « des Pèlerins ».

C’est en quittant Chamonix par le Lyret que les excursionnistes d’autrefois se dirigent, par le Cry et les Favrands, vers le Cerro pour la traversée du glacier des Bossons ou vers Pierre Pointue pour les Grands Mulets. Sur leur passage, ont poussé de sommaires petites cabanes : la crémerie du Vernet (que l’on peut encore deviner en face de l’école), la buvette Wilson (plate-forme du tunnel) ou la crémerie de la Para qui offrent le « boire et le manger » aux hommes et aux bêtes.

Le hameau des Pèlerins, cerné autrefois par les multiples ruisseaux émissaires du glacier des Bossons : La Creusaz, la Ravine Blanche, La Crosette, le Dard… voit naître de grandes figures de l’alpinisme : Jacques Balmat, Joseph Marie Couttet, Michel Savioz, Benoît Couttet, les Favret…

Pèlerins d’en-haut ou Pèlerins d’en-bas ne forment alors qu’un seul village, maisons et dépendances alignées selon le tracé de la meilleure protection contre les avalanches et les débordements des torrents. La « bannia »[2], complète cette protection. Sur la Mappe sarde[3], on découvre les « Grands Champs » ou les « Petits Champs », emblavures semées ou prés de pâture. Les Pèlarnis s’associent aux habitants des Songenaz et des Praz d’en-bas pour constituer une coopérative en 1905.

Durant tout l’ancien régime, c’est aux Montquarts[4] que les enfants doivent se rendre à l’école.

En 1888, enfin, une école est construite aux Pèlerins, à l’emplacement de l’école actuelle. Bâtie selon le modèle classique, elle comporte une classe unique et chaque écolier apporte sa bûche de bois de chauffage. À l’étage est aménagé l’appartement de l’instituteur.

Première révolution : La construction du téléphérique de l’Aiguille du Midi

« Rien ne saurait être plus profitable au développement du mouvement des étrangers que l’établissement d’un chemin de fer conduisant le grand flot de touristes au cœur même de la chaîne du Mont-Blanc et qui permettrait d’en admirer de près les beautés et les merveilles ». C’est en ces termes que les promoteurs du téléphérique de l’Aiguille du Midi présentent leur projet de « funiculaire aérien » devant le conseil municipal de Chamonix en 1904 :  adopté à l’unanimité, confié à la Société milanaise Ceretti & Tanfani et l’entreprise française Dyle & Bacalan.

Mais aux Pèlerins, ce projet n’emporte pas l’adhésion : avec une gare de départ rive droite de l’Arve et des câbles survolant le village, la ligne serait ponctuée de stations : cascade du Dard, Para, Pierre Pointue, glacier des Bossons, glacier Rond, Rocs Percés et enfin aiguille du Midi. Ce parcours engendre une vive protestation des habitants et oblige le promoteur à déplacer l’installation au-delà des champs et des maisons, à l’orée de la forêt.
Les travaux commencent en été 1909 par une tranchée dans la pessière, les arbres coupés étant utilisés comme pylônes provisoires pour la ligne de service. De nombreux ouvriers sont embauchés, et notamment les tailleurs de pierre italiens, renommés pour leur savoir-faire lors des constructions des voies ferrées. Interrompus chaque hiver à cause de la neige, les ouvriers reprennent le chantier au printemps, travaillant d’arrache-pied pour compenser les intempéries. Mais le travail est difficile et ils ne parviennent à la Para qu’en 1923.

Ce premier tronçon, en service jusqu’au pylône double de la cascade du Dard est utilisé pour la remontée des bobs lors les Jeux Olympiques d’hiver de 1924. Aux Pèlerins d’en haut, on construit des bâtiments en préfabriqué. Trois seront affectés aux dortoirs, un à la cantine et un cinquième, plus petit, à l’infirmerie.

Ces rustiques conditions d’habitat, prévues pour la période estivale, sont bien peu confortables pour les muratori[5]. On oublie souvent combien précieuse a été leur technique pour monter les murs de pierres sèches des virages profilés de la piste de bob, volontairement non maçonnés afin de mieux tenir la neige.

Nécessités d’accès :

Pour accéder plus facilement au nouveau téléphérique, il est devenu indispensable d’élargir la route venant de Chamonix. Jusqu’alors le chemin, empierré en 1873 seulement, était souvent défoncé par les sabots des mulets sur un sol mouillé. Dès 1922, on met à l’étude un plan parcellaire « des terrains particuliers que la commune devra acquérir pour l’élargissement de la route des Pellerins accédant à la station du funiculaire ». Les travaux d’élargissement et de goudronnage seront enfin effectués en 1936

Depuis les Gaillands, l’accès n’est guère plus facile. L’Arve non endiguée crée des îlots infranchissables et il faudra attendre 1875 pour qu’une première passerelle soit aménagée. Enfin, en 1908, on verra se construire un pont en béton armé résistant aux coups de boutoir des crues de l’Arve.

Le tracé de la piste de bobsleigh et les compétitions des JO de 1924 ont convaincu les responsables de la Compagnie de chemins de fer P.L.M. et le 20 septembre 1923 le Conseil municipal note avec satisfaction que « M. le Directeur général a accepté de faire établir une halte au passage à niveau des Gaillands.« 

Dès lors, on aura à cœur d’éviter aux voyageurs les pénibles raidillons entre la gare PLM à la gare du téléphérique. En 1925, avec un budget de 80 000 francs, une nouvelle voirie est créée, s’étirant en une boucle à déclivité plus douce dans les champs.

[1] Habitant des Pèlerins

[2] Forêt que l’on n’avait pas le droit de déboiser

[3] Premier plan cadastral établi en 1730

[4] Quartier des Bossons (chapelle et école)

[5] Muratori : maçons en italien