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L’école à Vallorcine

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Ne nous y trompons pas : en montagne, l’éloignement des hameaux n’a jamais été synonyme d’illettrisme ou d’analphabétisme, au contraire ! Les longs hivers d’autrefois au cours desquels la vie est comme ralentie sont des périodes propices aux études. Les familles en profitent pour donner à leurs enfants le minimum d’instruction : lire, écrire et compter. À Vallorcine, un questionnaire de 1794 précise que la commune n’a pas d’école mais que « chaque père de famille est en usage d’apprendre à lire et à écrire à ses enfants ». Quelques années plus tard, il est décidé, par un décret du 4 janvier 1806, que « l’argent de la cure vendue en 1797 sera employé pour l’entretien d’une école primaire ».

Diaporama de l’article

  • Légende photo :

    Cartable en bois d’Henri Burnet

  • Légende photo :

    Vallorcine, école du chef-lieu

  • Légende photo :

    Avril 1952 : « Près des cimes »

  • Légende photo :

    1932 Ecole du Nant à Vallorcine

  • Légende photo :

    1957 – Près des cimes

    L’école en montagne

    Ne nous y trompons pas : en montagne, l’éloignement des hameaux n’a jamais été synonyme d’illettrisme ou d’analphabétisme, au contraire ! Les longs hivers d’autrefois au cours desquels la vie est comme ralentie sont des périodes propices aux études. Les familles en profitent pour donner à leurs enfants le minimum d’instruction : lire, écrire et compter. À Vallorcine, un questionnaire de 1794 précise que la commune n’a pas d’école mais que « chaque père de famille est en usage d’apprendre à lire et à écrire à ses enfants ». Quelques années plus tard, il est décidé, par un décret du 4 janvier 1806, que « l’argent de la cure vendue en 1797 sera employé pour l’entretien d’une école primaire ».

    Mais regrouper tous les enfants en un seul endroit est tout-à-fait impossible pour ce village où les lieux-dits sont séparés par de dangereux couloirs d’avalanches. C’est pourquoi, en 1811, le conseil municipal décide de nommer quatre personnes pour assurer l’éducation des enfants dans les différents hameaux. Les élèves et leur enseignant se regroupent alors « dans une chambre habitée en même temps par la famille et souvent mal aérée », comme au Couteray, par exemple. Fonctionnant en classe unique, le maître d’école accueille les filles le matin et les garçons l’après-midi, les aînés supervisant la lecture des plus petits.

    En 1852 deux régents sont officiellement recrutés : Clément Claret, patenté par l’école de méthode du Faucigny et Joseph Burnet détenteur d’un certificat de méthode d’Aoste. Mais les bâtiments d’école n’existent toujours pas !

    L’école de la République

    Avec la IIIe République, l’enseignement devient laïc, à la charge de l’état. En 1874, deux écoles sont enfin construites, au Sizeray (chef-lieu) et au Nant, avec la participation active des habitants qui n’hésitent pas à fournir les matériaux, pierre, bois et chaux. En 1888, la commune compte cinq classes pour 600 habitants. C’est beaucoup, d’autant plus que la période scolaire ne dure que cinq mois, de novembre à mars. Aussi la classe de Barberine est-elle menacée de fermeture. Mais les dangers d’avalanches permanents rendent les décideurs prudents. Ils renoncent ! Enfin, en 1902, deux écoles neuves sont bâties dans le style traditionnel « Jules Ferry » avec les salles de classe en bas et les logements des instituteurs à l’étage.

    À l’école du Nant, en 1926, la maîtresse d’école s’appelle Marie Ancey-Mermoud. Son fils, Jean, racontera : « En 1930, je suis monté à l’école du Nant, avec maman comme institutrice. Je me souviens encore de la grande affiche rouge au mur, sur le centenaire de la conquête de l’Algérie. À l’école, notre cinéma à nous, c’était le stéréoscope Educa. Une grande boîte en bois cirée, avec son binoculaire et ses plaques en verre. Je me souviens des images anciennes du téléphérique du Brévent et des glaciers qui descendaient alors jusque dans les vallées. À l’école du Nant, j’étais avec mes deux frères, même s’ils étaient plus grands que moi. Je ne parlais pas patois, quelques mots seulement. Mes grands-parents parlaient souvent en patois, mon père aussi avec des gens du pays, mais pas avec ses collègues (PLM ). Maman, en tant qu’institutrice, parlait toujours en français, sauf avec la grand-mère. Les gamins qui utilisaient le patois se faisaient reprendre par l’instituteur. »

    De 1930 à 1957 : l’école de la nature

     Lorsque Antoine Bocquet, tout juste sorti de l’école normale de Bonneville, arrive pour son premier poste à l’école des Plans, il n’imagine sans doute pas y passer l’essentiel de sa carrière. Pourtant, bien accueilli, il s’intègre facilement au village, adhère à la clique locale, l’Echo du Buet, puis épouse une fille du pays, Blanche Burnet. À son travail de maître d’école, il ajoute celui de secrétaire de mairie, ainsi qu’il est d’usage dans de nombreuses petites communes.

    Mais il adhère surtout, comme son collègue Désailloud à l’école des Montquarts aux Bossons, à une méthode d’enseignement révolutionnaire de l’après-guerre – et que l’on rêverait de retrouver aujourd’hui pour nos enfants – la méthode Freinet, l’école de la nature.

    La recette est facile : vous prenez un petit montagnard et vous lui faites raconter ce qu’il voit autour de lui, ce qui l’a surpris, étonné ou effrayé. C’est le « texte libre », un court témoignage du dimanche à la maison, du lézard qui a filé se cacher sous la pierre, ou de la neige tombée en abondance… Tous les sujets sont bons, rédigés et corrigés par les écoliers, illustrés d’un dessin, le tout gravé sur linoleum et imprimé sur le journal de l’école intitulé « Près des cimes » !

    Plus de dix ans de la vie des enfants de Vallorcine sont ainsi consignés dans de petits fascicules destinés à la famille. Pour les élèves de l’époque, c’était l’apprentissage du français et du calcul avec du vécu ; pour les historiens de demain, c’est une mine de renseignements.

    Avril 1949 : Les sifflets

    Hier après-midi, Jean-Pierre et moi étions en champ les chèvres avec une voisine, nous avons confectionné des sifflets de saule. Nous prenions un bout de branche où il n’y avait pas de nœud. Nous coupions l’extrémité la plus mince en biseau, nous faisions au-dessus une encoche dans l’écorce pour la sortie de l’air. Puis avec le manche du couteau, nous battions l’écorce sur notre cuisse pour la faire décoller. Nous chantions le chant du sifflet pour faire passer le temps :

    « Sâoué, sâoué, sâouillon

    Sè t’tè dissaoué  S’tè bâillerai an morcé d’bacon

    Sè tè n’tè dissaoué pas S’tè bâillerai on coup d’bâton chu l’nâ. »

    « Sève, sève, sévillon

    Si tu te décolles (désèves) Je te donnerai un morceau de lard

    Si tu ne te décolles pas, Je te donnerai un coup de bâton sur le nez. »

    Quand l’écorce était décollée, nous creusions le bois jusqu’à la moëlle, nous remettions l’écorce et nous essayions notre sifflet. J’en ai fait quatre que j’ai donnés à mes camarades.

    André Ancey – 12 ans 1/2