Skip to main content

L’exploitation de la glace

,
|

Au XIXe siècle, la croissance de l’industrie hôtelière, dans la vallée de Chamonix comme à Paris ou à Genève, va offrir de nouvelles possibilités de travail aux habitants des Bossons : l’exploitation de la glace. En effet, nous ne sommes pas encore à l’ère des réfrigérateurs et les grandes cuves à glace des sous-sols d’hôtel attendent les pains de glace qui leur permettront de tenir au frais leurs victuailles.

L’article en images

  • Légende photo :

    Les ouvriers s’apprêtent à faire exploser l’énorme sérac

  • Légende photo :

    Les gros cubes de glace vont être poussés jusque dans la rise, gouttière de bois où ils glisseront jusqu’en bas de la pente

  • Légende photo :

    Les énormes pains de glace sont livrés aux hôtels du centre-ville

    Dans notre vallée, c’est en 1898 que cette activité a débuté, au glacier de Taconnaz, grâce à l’initiative d’un certain ressortissant suisse du nom de Bouvier. L’idée aurait pu être soufflée aux habitants de Taconnaz par nos voisins valaisans puisque, au glacier de Trient, cette activité est mentionnée dès 1865. On note alors que la glace est transportée en train à Paris ou Marseille depuis Martigny. De petits wagonnets permettent   d’évacuer les blocs de glace depuis le pied du glacier.

    Pas de wagonnets aux Bossons, mais seulement une rise, c’est-à-dire une large gouttière constituée d’un plancher de plateaux de mélèzes juxtaposés et qu’on a bordé de troncs de petits sapins ébranchés.

    Les ouvriers, travaillant sur le front du glacier, cherchent « un endroit bien dégagé.Avec des barres à mine de 2 ou 3 mètres de long, on perce des trous à l’horizontal, un peu en biais en descendant.Il faut mouiller, sinon les barres à mine se bloquent dans la glace.En même temps, on fait une tranchée de côté et on dégage en-dessous tout en préparant pour la prochaine mine.Quand on a une bonne poche, un peu basse on prend un peu plus haut pour faire sauter de gros blocs. Alors, ça descend des blocs de quinze à vingt mètres cubes à la fois ! On a ainsi beaucoup moins de déchets, c’est bien plus rentable.On détaille ensuite ces blocs à la pioche en morceaux de 30 à 40 kg. Pour débiter ces blocs à la pioche, il ne faut pas toujours frapper au même endroit, sinon la glace éclate sans se fendre.Pour ce travail, on utilise les « délâbres », des pioches plus longues et plus fines que les pioches ordinaires.»

    Les pains de glace sont maintenant prêts à être envoyés dans la rise. De longs outils munis d’un crochet, les guispis, montrent toute leur efficacité à saisir les blocs de glace et les faire glisser jusqu’à la rise, où, canalisés dans un toboggan de deux kilomètres de long, ils dévaleront, à près de 70 km à l’heure, la pente jusqu’au hangar où ils pourront être stockés quelques heures. « La glace filait à une vitesse fantastique.Aussi, de loin en loin, il y avait des planches ou de petits sapins avec leurs branches pour freiner ; sinon ça allait trop vite et tout était cassé en arrivant en bas.Quelquefois, les blocs sortaient de la rise.Aussi les hommes nous criaient : « Les enfants, n’allez pas trop près, on pourrait bien vous voir tués ! »

    À Trient comme à Argentière, les ouvriers doivent avoir une bonne connaissance de la glace et du glacier. Parfois suspendus à leurs cordes, les pieds chaussés de crampons dans les parties les plus pentues, leur agilité à se mouvoir dans ce milieu en fait des employés recherchés. Mais ils doivent également savoir manier la poudre avec discernement, manipulant correctement les doses de façon à ce que les charges explosives soient efficaces mais pas trop dangereuses pour les artificiers ! Toutes ces conditions étant remplies, ils doivent également être assez robustes et avoir la résistance nécessaire pour travailler du lever du jour à la tombée de la nuit… Michel Simond, puis Léon Besse ont bénéficié, jusqu’en 1939, de concessions communales les autorisant à exploiter la glace avec leur personnel.

    « Le travail se faisait à la demande, tout stockage étant impossible.Les hôtels de Chamonix passaient en priorité, le Majestic étant le plus demandeur.On exploitait environ 600 tonnes de glace de juin à septembre. La glace se vendait au poids.On venait la chercher du Fayet dans des charrettes attelées de chevaux.Pour la transporter jusqu’à Megève ou Sallanches on la mettait dans des caissons de zinc entourés de bois, recouverts de sciure et sur lesquels une simple bâche était placée.L’entreprise était prospère.Chaque caisson pouvait contenir jusqu’à 2,5 tonnes de glace. La glace pouvait aussi être expédiée par le train ou camion jusqu’à Genève ou Annecy. »

    Venant en concurrence des habitants des Bossons, une société parisienne, les Glacières de Paris, tente de mettre au point une autre méthode d’extraction de la glace. Après avoir officiellement obtenu une concession et une autorisation communale, un entrepreneur construit, sur la rive droite du glacier, une petite usine destinée, grâce à l’énergie fournie par une conduite forcée, à scier les blocs de glace selon un gabarit bien déterminé. Ces blocs doivent ensuite acheminés directement vers le village des Bossons à l’intérieur d’une conduite circulaire enterrée. Interrompue par la guerre, cette entreprise n’a pas été reconduite, et, selon certaines archives de la gare, n’aurait jamais pu réaliser qu’une seule expédition de glace à Paris.