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Marcel Wibault, l’art de la roche

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Sa jeunesse l’avait conduit dans les gouffres calcaires du Jura, puis sur les sommets granitiques de l’Oisans et du Mont-Blanc.

Les intrépides – ou les curieux – qui osent pénétrer, comme les spéléologues, dans les entrailles de la terre, ne peuvent qu’être émerveillés par les formes, les couleurs, la texture ou l’odeur de l’univers minéral qui les entoure. Concrétions calcaires, lits d’argile, marmites de géant ou siphons creusés par l’eau, etc. dans ses antres, la terre s’impose et impose ses créations. Arabesques, spirales, gouttes, bulbes…, tant de formes imaginées et déclinées dans le camaïeu blanc ocré de la roche.

Il en est de même pour les intrépides – ou les curieux – qui osent s’aventurer tout en haut des plus hautes montagnes. Là aussi, la nature impose ses œuvres d’art, ses couleurs et ses volumes, le grain de la neige ou le grain du granit, du turquoise de la glace au rouge ferrugineux du schiste !

Page publiée avec l’aimable autorisation de Lionel Wibault, fils du peintre.

Diaporama de l’article

  • Légende photo :

    Félix Genecand dit « Tricouni » – Aquarelle

  • Légende photo :

    Panorama géologique du bassin lémanique au massif du Mont-Blanc

  • Légende photo :

    Entrée du tunnel sous le Mont-Blanc – Reconnaissance géologique avec Edouard Lanterno – 1959

  • Légende photo :

    1961 – Le jumbo au front de taille

  • Légende photo :

    1963 – Refoulement d’un caisson

    Marcel Wibault admirait, la géologie allait devenir son violon d’Ingres.

    Il connaissait, par les sens, ce milieu bien particulier qu’il aimait peindre. Il savait cette présence, ce contact avec la peau, cet air raréfié et glacial qui pénètre les poumons, ce petit vent glacé, étincelant de lumière, qui pique les oreilles et le nez.

    Il eut à cœur de se documenter, par les livres, sur la prodigieuse aventure du granit du massif du Mont-Blanc, et dans son atelier du chalet Alpenrose, on comptait davantage d’ouvrages de géologie que de peinture. Ainsi, l’artiste eut-il la révélation du vrai visage des parois, en sachant leur histoire, en retrouvant la signification des jets de pierre, des failles, des rouleaux, des charnières de la tectonique. Les massifs disparus depuis des millions d’années, les grandes révolutions de l’écorce terrestre lui donnèrent souvent les lignes de force de ses tableaux. Pour lui, la montagne n’était pas seulement un paysage, mais un monde vivant, il en devinait l’origine, en découvrait les grands cataclysmes, et voyait les effets de l’érosion qui le modifiait jour après jour.

    En amateur éclairé, il savait différencier le granit du gneiss, et peignait de façon tout-à-fait précise les schistes rouges ou les veines blanches de quartz. D’un seul coup, il savait trouver la bonne couleur pour cette roche chauffée par le soleil et dont les gros grains de quartz râpent sous la main de l’alpiniste. « On le voyait prendre son pinceau, le passer sur les différentes couleurs de sa palette, puis, d’une main assurée, appliquer la couleur sur le panneau : le granit était là, on pouvait le voir, le toucher et presque en sentir l’odeur. » (Jean Brissaud)

    Ses connaissances, ses propos, dans ce domaine, reçurent l’hommage de géologues connus et eurent l’audience de plusieurs sociétés savantes de Haute-Savoie.

    Par l’intermédiaire de son ami Paul Payot, maire de Chamonix, Marcel Wibault rencontra Nicolas Oulianoff, géologue réputé de Lausanne, que l’on avait mandaté pour les premières études géologiques du massif du Mont-Blanc. Le percement du tunnel était programmé, l’entreprise Borie en avait la charge. Ils se rendirent sur la plate-forme que l’on venait de terrasser et confrontèrent leurs savoirs. S’ensuivit une conversation animée conclue par Monsieur Oulianoff : « Écoutez, je vous laisse faire, car sur ce terrain vous êtes plus fort que moi ! » Puis, à la question : « Pensez-vous que nous trouverons des cristaux ? » Marcel Wibault répondit catégoriquement : « Jamais ! »

    Il fit également la connaissance d’Édouard Lanterno, géologue et conservateur du Museum d’Histoire naturelle de Genève. À l’époque, l’alpinisme tissait déjà des liens solides. Tous les deux avaient un ami commun, Fernand Genecand, fils de Félix Genecand, dit « Tricouni » (1883-1957), ingénieur à Genève et inventeur des clous fixés sous les semelles des chaussures de montagne.

    Durant la durée des travaux, Edmond Giscard d’Estaing, président de la société concessionnaire française, vint rendre visite à Marcel Wibault. Il lui demanda de peindre sur un grand panneau le jumbo, monstre à trois têtes conçu spécialement pour le percement du tunnel du Mont-Blanc. Échafaudage mobile sur rail d’un poids de cent tonnes, ce mastodonte était constitué de quinze perforatrices de quarante-quatre millimètres de diamètre. On l’avançait au front de taille et les perforatrices entraient aussitôt en action pour creuser les trous de mines d’une profondeur de quatre mètres.

    Après la « purge » des parois, commençait l’opération dite de marinage, consistant à charger et évacuer les roches. Deux pelles électriques étaient avancées à leur tour au front de taille. Les godets pénétraient par poussées successives dans la masse de l’éboulis et reversaient les matériaux sur un tapis roulant, destination le concassage.

    L’artiste effectua plusieurs visites à l’intérieur du tunnel, montant dans les wagonnets avec les ouvriers. Il emportait de grandes feuilles à dessin pour croquer à la sanguine et rapporter des esquisses.

    Seul peintre admis dans la galerie en cours de creusement, Marcel Wibault restitua, sur ses tableaux, les ambiances dantesques du chantier du front de taille. Les monstres d’acier, le bruit infernal, la poussière, l’obscurité ou le halo d’une lumière artificielle surréaliste.

    Le mystère de la roche, de sa formation et de son évolution au cours des millénaires, possédait un pouvoir attractif indéniable pour Marcel Wibault et ses visites successives à l’intérieur du tunnel lui donnèrent le plaisir de rapporter une pierre de chaque kilomètre, échantillon qu’il rangeait, soigneusement étiqueté, du premier PK (point kilométrique) au dernier PK.

    Sa curiosité s’éveillait pour chaque exemplaire minéralogique : « On ne pouvait pas lui faire de plus grand plaisir qu’en lui offrant une pierre ! De n’importe où… Chaque fois qu’il partait en voyage, il aimait faire quelque halte, là où il y avait un intérêt géologique. Monsieur Lanterno lui avait offert un marteau de géologue. Il en était très fier et très heureux. » (Alice Bô)

    Marcel Wibault avait en lui la faculté de comprendre et de faire comprendre, d’aimer et de faire aimer : une qualité pédagogique précieuse.

    Son savoir désormais reconnu de géologue lui donna l’occasion, invité par le club de minéralogie de Chamonix, de donner une conférence sur la géologie du massif du Mont-Blanc. Les auditeurs, attentifs et impressionnés, eurent droit à un exposé complet, relevant à la fois du cours d’université et du praticien. Il présenta un panorama complet du massif, « en venant de Paris par avion jusqu’à Genève », donnant nombre de précisions inattendues, comme le fait que le fond de la vallée de Chamonix soit composé de roches secondaires jurassiques et non de roches cristallines comme tout ce qui l’entoure. À l’appui de son exposé, et pour permettre à chacun, expert ou néophite, de mieux intégrer l’évolution des roches, Marcel Wibault dessinait à la craie, au tableau, les différents aspects de tel pic ou tel vallon, il figurait les reliefs, esquissait les formes… Une alliance du savoir et du faire-savoir ! Un don de partage ?