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Denise Rey, l’artisane aux Povottes

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Depuis l’office de tourisme de Vallorcine, si vous remontez le chemin du Crot que prolonge l’ancien chemin des diligences, vous verrez à gauche une petite bâtisse de bois abritant un atelier d’art peu banal baptisé les Povottes. En patois local, c’est le nom des pommes d’épicéa, en quelque sorte la matière première de l’artisane qui œuvre en ces lieux : Denise Rey.

Diaporama de l’article

  • Légende photo :

    Une belle collection de chouettes

  • Légende photo :

    Des matériaux trouvés en forêt

  • Légende photo :

    Une atelier fleuri

  • Légende photo :

    La Befana tant attendue par les petits Italiens !

  • Légende photo :

    Denise dans son petit atelier

  • Légende photo :

    Une couronne de reine

    Les povottes (avec leurs variantes pouvoles, povoles…) collantes de résine et désespoir des corvées de lessive, font la joie des enfants d’autrefois qui, faute de jouets, ne tardent pas à leur donner vie : disposées à la queue leu leu, c’est le troupeau qui se rend au pré, tandis que, plus loin, le berger-povotte surveille… Denise raconte : J’ai toujours aimé bricoler, on était toujours dehors. Quand j’étais gamine, il y avait des murets, j’enlevais la première pierre et j’imaginais la maison dans le trou. Tout était organisé dedans, personnages et mobilier et je refermais ensuite avec la pierre. Je suis sûre qu’il y a encore des maisons à moi là-haut vers les Granges, des maisons habitées par des gens et des vaches figurés par les « povottes ».

    Ce ne sera que bien des années plus tard, en annexe aux divers emplois « alimentaires » pour sa famille, que Denise commence son nouveau métier en composant et vendant quelques bouquets de fleurs séchées, prémices de toute sa carrière créative. À ses débuts, la totalité de son équipement d’artisane (de la colle, des pétales de fleurs et quelques povottes) tient dans une boîte à chaussures qu’elle déplace, selon les besoins, de la cuisine au salon puis au garage où, enfin, elle peut ouvrir sa porte aux visiteurs en été. Mais quand, un beau matin, elle découvre que les souris sont passées par là et ont tout grignoté pendant la nuit, elle s’effondre. Daniel était avec moi, dit-elle, et il a vu mon désespoir et m’a dit : « Je vais te faire ton atelier » ; et voilà comment l’atelier est sorti de terre. Je n’ai jamais voulu m’agrandir, je me suis dit qu’il fallait que je m’adapte à cet espace où tout est à portée de la main.

    Aujourd’hui, Denise enrubanne soigneusement un vieux cercle métallique d’abat-jour avec de la laine, l’armature d’un futur attrape-rêve. À l’intérieur du cercle, une « toile d’araignée » de fils finement noués à la main capturera les cauchemars lesquels seront vite évacués grâce aux trois ou quatre rubans ou plumes suspendus dans le bas du cercle. C’est une tradition amérindienne, je ne sais pas pourquoi, mais depuis toujours je suis attirée par cet objet traditionnel (…) Il faut, de temps en temps, l’accrocher au soleil, pour qu’il se « recharge ». Enfin, c’est mystérieux, mais jamais anodin ! Parfois, on lui demande d’y introduire une perle, une plume ou quelque chose ayant appartenu à quelqu’un de cher. L’attrape-rêve se transforme alors en écrin de souvenir précieux. La longue période de confinement, très mal vécue par tous, a révélé, à travers l’attrape-rêve, le mal-être de chacun. Ce n’est pourtant que trois plumes et trois perles, mais c’est un objet que l’on achète à quelqu’un qui l’a fait. On ne l’achète pas à l’importe qui.

    Cotoyant de multiples bouquets de fleurs – vraies ou fausses -, voisinant des tableautins de graines, d’écorces, de lichens… trônent de magnifiques chouettes, superbes rapaces que la mythologie grecque associe à la déesse Athéna et à qui sont attribués les dons de clairvoyance, sagesse, mystère, intelligence et protection. Des boutons figurent les yeux ; des plumes ou des écorces le corps…

    Denise assemble à la colle mais ne coud que très rarement : parfois, les plis d’un tablier ou d’un jupon… Mais ses créations naissent d’un détail : les coques ouvertes d’une cacahuète prennent à ses yeux la forme de sabots à l’intérieur desquels elle imagine déjà les jambes ; le reste du personnage suivra. Parfois, elle verra dans un cône pointu le chapeau d’une future petite sorcière. De jolies mains de poupée de collection avaient atterri, inertes, dans son atelier : Denise leur a redonné vie en les « greffant » au bout des bras d’une inconnue… Ça part avec une matière, un sujet, presque rien, et déjà le détail a pris sa place et je vois le produit fini. Je n’exclus aucun matériau à priori, et j’avance à l’instinct. J’ai la chance de pouvoir imaginer le produit fini, je perds moins de temps.

    Il ne reste plus alors qu’à remplir le ventre de ses personnages. Tout est permis, mousse séchée, balle de tennis usagée, rouleau de carton, lichen… Si on les passait au scanner, on aurait de drôles de surprises !

     C’est ainsi que travaille Denise : une imagination débordante et des doigts agiles lui permettent de composer divers bouquets ou figurines, tableaux, statuettes ou bracelets, ou encore couronnes de l’Avent ou couronnes pour les gagnantes des Combats des Reines ! Quelle que soit la structure, quelle que la soit la nature, végétale ou minérale : tout peut être utilisé, des écorces aux branches, des plumes aux lichens ou aux coquilles d’escargot, mais aussi les brins de laine, les boutons, les perles ou les chutes de tissu… Tous ces matériaux sont soigneusement classés et rangés dans des casiers et des pots, à portée de main.  Sensible au temps, aux couleurs, l’artiste crée selon l’inspiration que lui apporte la lumière des saisons et de la forêt où elle aime se perdre, avec, comme seule compagne, sa chatte. Elle est mes yeux et mes oreilles, je vais voir où elle renifle et j’y découvre un nid d’écureuil… Une vipère, un oiseau… l’instant est vite passé ! La forêt est mon domaine. L’odorant mélèze aux couleurs changeantes voisine l’apaisant bouleau au tronc blanc et à la sève bienfaisante au printemps.

    Autant que la chouette ou l’attrape-rêve, Denise aime les sorcières. Un poème leur est dédié :

    C’est à l’entrée de l’hiver

    Que les mauvais esprits rentrent dans ta maison.

    Ils se déguisent en courants d’air

    En profitant de la mauvaise saison.

    Toi, tu ne te méfies pas,

    Tu penses : Quel sale vent.

    Heureusement que je suis là,

    Vigilante à chaque instant.

    Si tu te laisses faire

    Ils vont s’installer chez toi

    Pour entamer une vraie guerre

    Ils en deviendront vite les rois.

    Sur mon balai, les yeux perçants

    En face de ta porte, je veille pour toi

    Ils ne rentreront pas, même en rampant

    Tu peux vivre en paix sous ton toit.

    Ces femmes dotées de dons un peu particuliers, connaissant parfaitement bien les plantes et leur pouvoir de guérison, étaient la plupart du temps rejetées par la société et contraintes de vivre exclues et cachées. Un sombre destin les condamnait à l’excommunication et à l’immolation par le feu en place publique. Pourtant, en Italie, les enfants attendent avec impatience l’arrivée de la Befana, la sorcière (bonne fée ?) qui leur apporte des cadeaux le jour de l’Epiphanie, jour des Rois Mages. La tradition, encore très vive du côté du Lac Majeur, précise que les enfants sages recevront des boulets de charbon en chocolat, tandis que les autres n’auront que de vrais morceaux de charbon !

    Je suis contente quand il y a des petits qui me disent : « Quand je serai grand, je ferai « povottes ». Tous les enfants sont créateurs jusqu’à 6 ans. Je n’ai jamais donné de cours, je leur montre comment je fais. Mais en milieu scolaire c’est trop compliqué. Je ne peux pas les emmener en forêt, ils n’ont pas le droit de se servir de ciseaux pointus, etc. C’est dommage ! Denise.

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