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Les Collets Rouges à Drouot

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Commissionnaires à l’Hôtel des Ventes de Drouot à Paris, les « Collets Rouges » sont ainsi nommés à cause du petit feston rouge qui orne le col de leur veston noir. Leur particularité ? Ils sont tous Savoyards, ce privilège leur ayant été accordé, selon certaines sources, par Napoléon III avant l’annexion de la Savoie à la France.

Diaporama de l’article

    Réputés « forts, sérieux et travailleurs », les Collets Rouges ont organisé leur travail de façon communautaire. Limitant leur nombre à 110, chacun porte, brodé sur son collet, le numéro qui lui a été attribué lorsqu’un poste s’est libéré. Appelé « bis », le nouveau venu, choisi par cooptation à l’unanimité, est affecté du numéro de celui qu’il remplace mais devra faire un essai de six mois avant d’être admis définitivement dans la légendaire corporation. Quand il entre dans la société, il devient actionnaire et doit verser une somme d’argent (aujourd’hui entre 50 000 et 80 000 Euros) correspondant à une partie du fonds de commerce : matériel, garde-meuble et une vingtaine de camions. En arrivant dans la capitale, le jeune Savoyard connaît le type de travail qu’on va lui confier. Mais il a davantage de difficultés à imaginer ce qu’est la Salle Drouot, véritable ville dans la ville, un univers particulier où l’aide des « anciens » lui sera précieuse.

    Déménager les lots mis en vente chez les particuliers, les nettoyer, les étiqueter et les ranger… Ce travail suppose une bonne connaissance en matière d’art ou d’artisanat, mais également une solide condition physique pour porter et déplacer des objets souvent lourds – et parfois fragiles en même temps. Propriétaires et gérants d’un garde-meubles, ils y stockent mobilier, vaisselle, objets décoratifs ou tableaux avant leur mise aux enchères à l’hôtel des Ventes. Ils sont également, la plupart du temps, propriétaires à Paris, à proximité de leur lieu de travail, de logements qu’ils se partagent.

    Longtemps traditionnel, le recrutement se fait non seulement par cooptation mais souvent par connaissances, parfois même en famille, mais toujours en Savoie ou Haute-Savoie. Parisiens par leur métier, ils sont restés Savoyards de cœur et la plupart d’entre eux ont conservé une maison sur la terre de leurs ancêtres !

    Les Collets rouges en 1922 par Claude Argentine

     Dans la rue ils vont d’un pas lourd et tranquille, toujours par deux ou toujours par trois.

    Leur grande blouse bleue se gonfle à la brise et les fait paraître ventrus, carrés, bien plus gros encore ; le rabat de leur casquette tombe en avant, revient en arrière, frotte une de leurs oreilles qui semble écarlate. Ils ne portent pas la moustache à l’américaine et ils parlent patois.

    Ce sont les « Collets Rouges » qui vont toujours par deux ou toujours par trois.

    Le soir, cependant, tard déjà, il en est un qui traverse seul la rue de Provence ; il porte sous son bras un gros paquet blanc. Il ne voit personne, il ne songe à rien si ce n’est peut-être à la bonne gniôle qu’il vient de boire chez un pays rue Cadet.

    L’autre soir, rue de Provence, j’ai rencontré le 8, l’Ami. Il m’a dit que c’était son tour de veille : « Voyez, j’emporte mes draps… » Il m’a dit aussi qu’il voulait faire de jolis rêves et qu’il fallait remonter avec lui chez le pays, rue Cadet.

    Rue Cadet, je lui ai fait vargogne à mon brave « collet rouge » parce que je ne prenais pas de gotta dans mon café et il a essayé de me persuader que j’ignorais les bonnes choses.

    Le café sans la gotta, voyez-vous y’est pas la pinna d’en parlâ… »

     Nous ne parlâmes donc plus du café mais de bien d’autres choses : du recrutement des collègues, du tirage au sort des voituriers, des cinq qui ne furent pas mobilisés, des malades aussi, car le métier est bien pénible et dangereux.

    Nous avons parlé longtemps ; nous avons compté même : le 1 de Megève ; le 2, le 3… de Megève ; le 8 de Megève… Nous fîmes aussi une soustraction bien difficile : il y a 110 « collets rouges » à l’Hôtel des Ventes », il n’y en a qu’un qui n’est pas un pays, il y a 109 Savoyards à l’Hôtel des Ventes.

    Et mon brave d’ajouter, comme pour excuser la présence de l’« étranger » :

    – Et puis l’autre, il est bien savoyard, sa femme est de Chamonix.

    Une fois encore il me fit un petit cours d’Histoire. J’appris par lui que l’Hôtel des Ventes ou l’Hôtel des Commissaires-priseurs était né pour les besoins de la cause en 1852, que jusqu’il y a 15 ans, tous les « collets rouges » de l’Hôtel étaient de Megève, de Passy, de Sallanches et de Saint-Gervais.

    – La Savoie y a pris goût ; il est venu des Tarins, des Tignards, des Mauriennais, ceux de Lanslebourg, mais c’est quand même la « haute » qui l’emporte, ajouta le 8 avec un petit air satisfait, rien que de Megève, on est 41 !… »

    Dans le fond il n’y a pas de « Haute » et pas plus de « Basse » : il y a une grande famille de forts lurons qui travaillent ensemble, qui vont dans la rue d’un pas lourd et tranquille, toujours par deux ou toujours par trois, qui sortent ensemble, qui sont presque tous voisins mais qui sont tous honnêtes.

    – « Hé la la ! On en a trouvé des billets dans les vieux meubles… »

    Mon compagnon trinqua une dernière fois et puis s’en fut vers la maison carrée tapissée d’affiches vertes et d’affiches roses.

    Je l’accompagnai. Au coin de la rue Cadet, on croisa un « collet rouge ». Périnet me dit :

    – Celui-là il est encore au « Bis », oui il est à l’essai, mais il est bon type. Bon Dieu on en fera un conseiller… »

    Et comme je demandais des explications :

    – On habite tous rue Rodier, rue de l’Agent-Bailly, rue Cadet ou rue Lamartine. On a tous des troupes de parents dans le quartier ; et là, on ferait passer qui on veut »…

    Un Savoyard, un « collet rouge » conseiller municipal ? Pour le coup les brocanteurs auvergnats déserteraient l’Hôtel des Ventes…

    Les « Collets Rouges » faire de la politique ?

    Non. Les Collets rouges sont des lurons qui vont dans la rue d’un pas lourd et tranquille, toujours par deux ou toujours par trois.

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