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Liaison ferroviaire avec la Suisse

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« Montroc-le-Planet (Hôt.pens. Bel-Alp, du Planet, du col des Montets) : hameau de la commune de Chamonix et de la paroisse d’Argentière, dans une pittoresque situation, station desservant : par route carrossable les hameau et Grand-Hôtel du Planet, par route de voiture légère le hameau du Tour, dernier hameau de la vallée de Chamonix, enfin par sentier le hameau de Trélechamp et l’hôtel-pension des Montets. Des abords de la gare, du tunnel comme du viaduc, vue admirable sur la vallée de Chamonix. Station du Buet : dans une situation très favorable pour les excursions. La voie franchit l’Eau Noire et laisse à gauche les hameaux du Nant et du Plan de l’Envers et la station transformatrice n°2 du P.L.M. La vue est encore très belle. Vallorcine : gare internationale. On change de train ; la visite des bagages à mains se fait dans le train entre Vallorcine et le Chatelard pour les voyageurs venant de Chamonix. A partir de là, heure de l’Europe centrale, en avance d’1 h. »

 Ce descriptif, tiré du guide touristique Joanne de 1913, ne laisse en rien soupçonner les nombreux problèmes rencontrés par les entreprises pour la construction de la partie la plus contraignante de la ligne.

  • Légende photo :

    Viaduc de Montroc depuis le village des Frasserands

  • Légende photo :

    Au Buet

  • Légende photo :

    Train « moderne » en gare de Montroc

  • Légende photo :

    Les hôtels de Vallorcine s’installent près de la gare

  • Légende photo :

    Creusement du tunnel des Montets

    En effet, au sortir de la gare d’Argentière, les ouvriers se heurtent d’emblée à de difficiles problèmes dans la zone du confluent de l’Arve et de l’Arveyron d’Argentière. Très impressionnant, le glacier descend très bas, envahissant ce qui deviendra ensuite la moraine. Pas un arbre, la langue glaciaire se termine en grotte et crache un important flot laiteux. Sur la gauche, cascadant depuis le col de Balme, l’Arve capricieuse a creusé un large lit de galets et de rochers. La voie ferrée doit franchir ce torrent de montagne, et pour ce faire, procéder tout d’abord à de sérieux travaux d’endiguement. Les maçons valdôtains et piémontais y montreront tout leur savoir-faire : murs de pierre de taille maçonnés canalisent désormais l’Arve sur plus de 200 mètres.

    À Montroc, on avait situé primitivement la gare sur la rive gauche de l’Arve, près du chemin vicinal N° 7 menant d’Argentière au col de Balme. Après réflexion, la décision est prise au sein du Conseil Municipal de la déplacer sur l’autre rive pour « éviter une coulée d’avalanche ».

    Des problèmes annexes, mais néanmoins importants surgissent. En 1905, les habitants des Frasserands demandent le transfert de leur école, en raison du danger que courent les élèves. Après « instruction de la demande » le Sous-Préfet de Bonneville répond que «le tracé de la ligne passe, en effet, près de la maison d’école ; mais que l’ouverture du tunnel en est éloignée de 120 à 150 mètres. Dans ces conditions, les travaux bruyants ne s’exécuteront pas dans le voisinage immédiat de l’école ; mais s’il est démontré que la présence de nombreux ouvriers dans le hameau peut être dangereux pour une institutrice, le poste pourrait alors être confié à un instituteur comme il a d’ailleurs été procédé au hameau du Tour. Dans cette dernière hypothèse, une maîtresse de couture serait nommée pour les écoles du Tour et des Frasserands.»

    Mais le plus gros morceau reste le creusement du tunnel des Montets.

    Tout d’abord, une option importante est prise par la Compagnie P.L.M., celle d’aménager, sur toute la longueur du tunnel, un cheminement piéton éclairé. En effet, on considère que, complètement isolés de la France pendant de nombreux mois d’hiver, les hameaux de Vallorcine doivent d’être désenclavés par le chemin de fer. La circulation des trains ne pourra certes pas se faire par n’importe quel temps, mais les Vallorcins pourront emprunter ce passage parallèle aux rails, « une piste par laquelle les habitants de la localité pourraient circuler en cas d’interception prolongée de la route du col ». Dès avant sa construction, ce tunnel devient, aux yeux de la presse comme de la population locale, un « Tunnel humanitaire ».

    Adjugé le 19 mai 1905 à l’entreprise Catella & Miniggio, le chantier peut commencer avec les beaux jours. On estime alors qu’il pourra être terminé dans un délai d’un an environ. La galerie, longue de 1,8 km, grimpe jusqu’à 75 mètres sous l’altitude du col des Montets pour redescendre ensuite et déboucher en amont du hameau du Buet.

    Hélas, contrairement aux études menées, ce tunnel apportera beaucoup de désillusions aux ingénieurs et aux ouvriers qui y travaillent. Au sein d’un tissu géologique un peu particulier, la galerie croise sans cesse des failles de rochers où circule tout un réseau hydrologique compliqué. En période de fonte des neiges, ce sont de véritables torrents, dont le débit a été chiffré, pour un des plus importants, jusqu’à 22 m3 à la minute, qui jaillissent sous les pics des mineurs ! En juillet 1906, un quart seulement du boyau est percé… Les conditions de travail sont difficiles, une explosion déclenchée involontairement tue un ouvrier et en blesse un deuxième. Une semaine plus tard, les 350 employés se mettent en grève. Ils dénoncent des conditions de travail trop dures, des temps de travail trop longs et des salaires misérables. Quelques mois plus tard, cinq autres mineurs laissent leur vie dans la galerie, un sixième dans un autre tunnel, entre Vallorcine et la frontière.

    Afin d’éviter ces failles – et les ruisseaux souterrains qui s’y faufilent – les ingénieurs sont contraints d’attendre les périodes où le froid gèle l’eau et où la neige remplace la pluie. On abandonne également le tracé initial pour lui faire prendre une large courbe vers la droite suivie d’une contre-courbe vers la gauche. Et c’est avec soulagement que la jonction est enfin fêtée, le 1er novembre 1907, entre l’équipe travaillant depuis le Buet et celle travaillant depuis Montroc. Pour rendre ce tunnel étanche, près de 8000 tonnes de ciment devront ensuite être injectées à l’air comprimé : un imprévu supplémentaire dans le délai (qui passe de 2 à plus de 3 ans) et le coût de l’ouvrage passant de 2, 8 millions de francs à plus de 4,4 millions.

    Mais ces déboires seront bien vite oubliés lorsque l’on pourra lire, avec fierté, quelques mois plus tard : « On franchit le col des Montets par un tunnel long de 1,883 m. Cet ouvrage éclairé à l’électricité est le seul en France qui comporte une ligne de chemin de fer et un passage pour les piétons, exception due au danger que présente en hiver le col des Montets et à l’utilité de relier pratiquement en hiver la commune de Vallorcine au reste de la France. La voie passe à l’altitude de 1386 m. On débouche dans la vallée de Vallorcine, l’ancien Val Orsine, Val aux Ours, sauvage mais très pittoresque ».

    Le raccordement avec la ligne Martigny-Châtelard étant en place, l’inauguration peut enfin avoir lieu. Le journal « L’Illustration » s’en fait le porte-paroles, le 11 juillet 1908 : «La Compagnie P.L.M. et la compagnie suisse Martigny-Châtelard s’étaient entendues pour rendre aussi agréable que possible à un petit nombre d’invités l’inauguration de la ligne complète. Elles étaient représentées d’une part par MM. Mazure, Poulet et Ruelle ; du côté suisse par M. Ador qui fut commissaire général de la Suisse à l’Exposition de 1900. Contrairement à tous les usages, les discours furent peu nombreux, courts et en général amusants. Le groupe français s’était paré de quelques jolies femmes qui donnèrent dans ce paysage sévère la note gracieuse. On avait profité de l’occasion pour nous hisser en chemin de fer à crémaillère jusqu’à mi-chemin de la Mer de Glace, car la ligne du Montanvert que Baedeker indique comme terminée dans son édition de 1907 ne sera probablement pas encore achevée cette saison. La traction est à vapeur, le concessionnaire n’ayant pu raisonnablement assumer les frais considérables de construction et d’amortissement d’une usine électrique et la compagnie P.L.M. ne disposant point d’une quantité suffisante de courant pour lui en céder.»

    La ligne le Fayet-Martigny est désormais ouverte et les touristes peuvent l’emprunter tout à loisir.  En 1913 existe encore une zone franche, exempte du droit de douane, à l’intérieur de laquelle se situent Saint-Gervais, Chamonix et Argentière. Il est alors prudent, quand on prépare son voyage de retour de s’informer « à la gare de Chamonix, de la voie prise par ses bagages (via Annecy ou via Bellegarde) et suivre soigneusement la même voie pour assister à leur visite, faute de quoi ils demeureraient en souffrance à l’un des bureaux de douanes ».