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Bobsleigh, tobogganing, luge et skeleton

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Les habitants des Pèlerins d’en haut connaissent, pour la plupart, ce goulet de pierres à demi-enfouies dans la végétation, aulnes, ronces et framboisiers de la forêt des Pèlerins.

Lorsque, vers 1980, j’ai découvert, à l’occasion d’une balade sans but, hors sentier, les vestiges de cet équipement, je suis restée admirative devant la simplicité de la construction de ces murs, en même temps que leur robustesse et la technicité des profils des plans incurvés, constitués de pierres empilées, sans colle ni ciment, sur parfois près de quatre mètres de hauteur.

J’avais, ce jour-là, mis le doigt dans l’engrenage :  celui de l’histoire des JO de Chamonix.

Diaporama de l’article

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    Dans les années 1980, les reliquats d’un travail titanesque des gens du pays.

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    Le redoutable virage des Ecureuils

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    En tireté dans la forêt des Pèlerins, la piste de bobsleigh.

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    1929 Bob à 5

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    1936 : les bobeurs Etienne Payot, Emile Kléber, Anatole Bozon, Amédée Ronzel, Louis Meinard, René Charlet, Albert Mugnier, Maurice Borgarelli. six d’entre eux seront sélectionnés aux JO de 1936 et deux participeront aux JO de St Moritz.

    La luge et le skeleton

    Dans la vallée de Chamonix (comme dans tous les hameaux de montagne), la luge est d’abord un outil de travail pour transporter les matériaux en les chargeant sur les traineaux à patins qui glissent sur la neige. De l’activité agro-pastorale au jeu pratiqué par les enfants, il n’y a qu’un pas et cette activité ludique est rapidement proposée aux touristes venus goûter aux joies des sports d’hiver. Ils peuvent disposer de la piste de la Côte, splendide ligne droite de six cents mètres de long à la portée des débutants, tandis que les plus hardis s’élancent sur la piste du Brévent avec trois virages et plus de huit cents mètres de long. Encore plus rapide, la piste des Moussoux s’étire sur environ mille mètres de parcours. Partout dans la vallée, des villages des Praz, du Lavancher ou du Planet, des pistes sont tracées par les gens du pays. Parfois, on s’élance sur la route elle-même, en de joyeuses parties de glissades. « Mes souvenirs me ramènent aussi vers ces journées d’hiver où la route pentue du village était le rendez-vous des jeunes et des moins jeunes venus s’adonner à des parties de luges effrénées qui duraient parfois jusqu’aux premières heures des nuits de pleine lune, dans une ambiance impossible à retrouver aujourd’hui. » (René Bozon)

    Présentés en sport de démonstration à Chamonix, le skeleton est devenu discipline olympique en 1928 et 1948 à St Moritz. Depuis, il a complètement disparu, tandis que la luge ne fait sa première apparition qu’en 1964 à Innsbruck pour devenir officielle et perdurer.

    Pourtant, en 1908, elle était encore bien mal vue. La Revue olympique la décrit comme un jeu d’enfants ou une « distraction inesthétique et inconvenante pour les demoiselles ». Quant au bob, on lui reproche de « susciter l’extension des paris et des poules, ce qui est inadmissible. »

    Quand le bobsleigh détrône les activités concurrentes

    C’est pourtant le bob qui détrônera ces activités concurrentes lorsque Chamonix s’apprête à organiser la VIIIeOlympiade, rencontre sportive qui deviendra les Premiers Jeux Olympiques d’hiver en 1924.

    Pour cette discipline, Monsieur le Préfet de Haute-Savoie exige un meilleur emplacement que les pentes de la Roumna (et le fameux virage des Chaudérons) trop ensoleillées et dont les touristes, que l’on espère nombreux, pourront profiter tout à loisir, sans risque.

    Pour les épreuves très sérieuses des JO, un parcours dans la forêt communale des Pèlerins est choisi, parcours présentant le double avantage d’être exposé à l’ubac où la glace tiendra mieux, et de pouvoir profiter du funiculaire aérien de l’Aiguille du Midi, du moins sa première partie (jusqu’à 1 210 mètres d’altitude), pour la remontée des bobs. En réalité, le funiculaire aérien, dont les travaux ne sont pas terminés, ne parviendra pas à acheminer les voyageurs. Une seule et unique cabine fonctionne jusqu’au pylône double. Quelques officiels et invités seulement en bénéficieront et auront le privilège de participer au premier transport par téléphérique en France. Les athlètes et leurs engins seront transportés par la ligne de service.

    Avec 1 464,97 mètres de longueur, 156,29 mètres de dénivelé, 14% de pente et dix-neuf virages dont huit majeurs (des Myrtilles – Pouterez – Place Verte – Eau Noire – Jacques Balmat – des Écureuils – du Pylône – du Téléférique) où les bolides dévaleront à plus de soixante kilomètres à l’heure, les impératifs de construction sont très stricts pour assurer la sécurité des athlètes. Après délibération du conseil municipal du 10 septembre 1922, suit un arrêté préfectoral, le 18 novembre, autorisant cette construction, lequel est suivi à son tour d’une autorisation communale en date du 28 août 1923.

    Les travaux peuvent enfin commencer. Ce tracé nécessite s’énormes travaux : arbustes à tailler, arbres à abattre et gros blocs de granit échoués à miner et à évacuer. « C’était quelque chose de remarquable », témoigne Paul Mugnier, embauché sur ce chantier, avec Jacques Burnet, Ambroise Ducroz, Anatole Couttet ou Borgeat. Les maçons, « muratori » italiens, sont revenus à Chamonix dès la fin de la Grande Guerre, se regroupant en une « colonie italienne ». Spécialistes des murs en pierres – comme les ouvriers de l’entreprise « Gelati & Bignami d’Argentière«  -, ils sont chargés de la plupart des édifications délicates et notamment des murs en pierres sèches, non maçonnés afin que la neige poudreuse adhère mieux au minéral. Par une agglomération de neige appliquée à la pelle sur les pierres brutes, suivie d’un arrosage au tuyau, un mur de neige est bientôt constitué, doublant les élévations de pierre d’un capitonnage de neige glacée.

    En parallèle, une équipe est chargée, chaque soir, d’arroser largement la piste que le froid sibérien de la nuit transforme en toboggan glacé. « Il y avait des réservoirs d’eau et une conduite dans tous les tournants ce qui permettait d’arroser plus facilement la piste. Les tuyaux des pompiers gelaient, les ouvriers se laissaient glisser ! » Paul Mugnier se souvient de glissades mémorables ainsi que du froid terrible qui sévissait alors : « Nous rentrions gelés comme des chandelles ! »[1]

    Le montant des travaux s’élève à 120 139 frs hors tribune et poste de chronométrage.

    « C’est en pleine forêt des Pèlerins », témoigne également Roger Frison-Roche, « qu’a été aménagée la terrible piste aux dix-neuf virages très serrés. On utilisait, pour la remontée des bobs, le téléphérique de service du vieux télé de l’Aiguille du Midi avec sa station provisoire au double pylône de la Cascade du Dard. Avec ses terribles virages relevés à la verticale et glacés par arrosage, elle était redoutable et même meurtrière. La Suisse remporta le tournoi devant la Grande Bretagne et la Belgique, la France terminant 4e avec un seul bob classé. »

    Le journal L’Illustration la décrit avec émotion : « Il faut avoir vu des virages étincelants de blancheur enchainés les uns derrière les autres à l’ombre de l’immense forêt de pins (sic) comme les pâles harmonieuses de quelque immense hélice, pour imaginer quelle sensation merveilleuse éprouvaient les équipes à « visser » dans ce labyrinthe étroit, collées contre la paroi verticale à plusieurs mètres de haut. » Et l’on frémit avec le rédacteur lorsqu’il raconte la chute spectaculaire des bobeurs italiens : « Le bob italien s’élance le premier sur la piste glacée. Au premier virage de la forêt, le bob bondit contre le glacis de la muraille. Un quart de seconde, l’on aperçoit les cinq hommes perpendiculaires au talus, suspendus sur le vide. L’avant du bob s’est enfoncé dans une fissure de la paroi et l’équipe capote, jonchant la piste sous le traîneau retourné. Quatre se relèvent sans mal mais le cinquième, le Capitaine Torunoni porte à la tempe une contusion ».

    Solidement érigée pour 1924, cette piste de bob, malgré les nombreuses chutes qu’elle occasionne, fonctionne pendant plus de vingt-cinq ans. C’est là que se déroulent tous les entraînements, la section bob du Club des Sports de Chamonix, concessionnaire de l’équipement dès mars 1924, étant très active. Les Pèlarnis pourront assister également à de belles compétitions : Championnats de Savoie, le tournoi des AS, les Championnats de France, Championnat de Monde ainsi que le Challenge Sud Est…

    « Je l’ai descendue des centaines de fois, dira Maurice Borgarelli. Elle était très rapide, mais je la connaissais bien. » Avec une belle quatrième place aux Championnats du monde de St Moritz en 1936, Maurice aurait pu participer aux JO de Garmisch-Partenkirchen. Mais à l’époque, la Fédération de Glace ne finance qu’une partie des frais, le solde étant à la charge des athlètes. Or Maurice vient de se marier et ses charges familiales ne lui permettent plus de « s’offrir » ce luxe.

    René Bozon évoque à son tour les souvenirs de son père, Anatole, champion de France en 1933, mais qui redoutait cette piste dangereuse : « Quand on sortait de la piste, on allait souvent taper dans les sapins ! ».

    Un accident mortel en 1950 et la construction de la route du tunnel signent la fin d’une belle histoire dans la forêt des Pèlerins.

    Sources : Joëlle Dartigue-Paccalet : Les Chamoniards et les JO (brochure mairie 1996) – Les Pèlerins – Brochure du Patrimoine (2006) – Nathalie Nevière : Recueil de témoignages oraux réalisé en 1984 auprès de Paul Mugnier et Marcel Semblanet (son grand-père) – Denis Cardoso : Informations techniques.

    [1] Une chandelle : terme utilisé autrefois pour désigner un glaçon formé en bordure de toit et pendant dans le vide.

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