Lucienne Schmidt-Couttet, championne du monde de ski
Le ski, Les gens d’ici
C’est dans le petit village du Lavancher que Lucienne Couttet, pleine de vie et avec de l’énergie à revendre, chausse ses premiers skis. En 1937, alors que Chamonix accueille les championnats du monde de ski, elle s’exclame : « Un jour, j’aimerais être comme elles« . Voilà une phrase prémonitoire chez une fillette qui descend chaque jour à l’école à skis et ne déchausse que pour entrer dans la salle de classe. Quand on l’interroge, plusieurs années plus tard, elle avoue ne pas se souvenir d’avoir passé un seul jour de son enfance sans skier.
Diaporama de l’article
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Lucienne : une enfance au Lavancher
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En famille au village
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Lucienne, une jeune fille prometteuse
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Lucienne, une jeune femme pleine de talents, travailleuse acharnée
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Portrait de Lucienne en 1944
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En 1951 : entraînement sur les pentes du Brévent
Enfant, Lucienne avoue être une petite fille un peu turbulente. À vrai dire, elle a la bougeotte et les jeux des garçons, après tout, lui paraissent plus intéressants que ceux des filles. « J’étais une enfant terrible, j’ai grimpé sur tous les rochers des environs du village. Un jour, on me cherchait partout : j’étais montée au Chapeau, seule. Oh, je devais être encore petite. Nous descendions à pied à l’école des Tines, le long du canal, puis sur la route et on coupait ensuite à travers champs… Je me souviens m’être fait gronder car je m’amusais à marcher en équilibre sur la main courante de la rambarde du balcon. »
Perché sur son verrou glaciaire, le village du Lavancher est un peu à part, l’orographie le reliant plutôt au haut de la vallée, mais l’avalanche meurtrière de la Verte lui interdisant cet accès vers l’amont pendant une grande partie de l’année. C’est pourquoi les écoliers lavanchérauds fréquentent l’école des Tines plutôt que celle des Grassonnets, et les fidèles, l’église de Chamonix plutôt que celle d’Argentière. La communauté a su s’adapter à cette situation, vivant en mode autarcique et en parfaite harmonie avec la nature environnante, pourtant parfois hostile. Le 14 juillet 1934, un violent incendie détruit une partie du village, rapidement reconstruit, plus aéré, à proximité des plus anciennes fermes du chemin du Quart Déri. Dans ce petit coin tranquille vous avez plaisir à découvrir quelques vieilles fermes mitoyennes, flanquées de potagers fleuris. Soubassements de pierres, étages de bois, les plus anciennes bâtisses témoignent une vie essentiellement rurale et forment le noyau de ce village calme avec d’anciens passages entre les maisons permettant de découvrir une architecture traditionnelle harmonieuse.
C’est dans ce village que Lucienne, pleine de vie et avec de l’énergie à revendre, chausse ses premiers skis. En 1937, alors que Chamonix accueille les championnats du monde de ski, elle s’exclame : « Un jour, j’aimerais être comme elles« . Voilà une phrase prémonitoire chez une fillette qui descend chaque jour à l’école à skis et ne déchausse que pour entrer dans la salle de classe. Quand on l’interroge, plusieurs années plus tard, elle avoue ne pas se souvenir d’avoir passé un seul jour de son enfance sans skier. Quand il n’y a plus de neige au village, elle va la chercher sur le glacier, accompagnant son père, guide, qui travaille sur les chantiers de la Mer de Glace.
Sans rivale, elle remporte toutes les courses scolaires, y compris chez les garçons qui ont souvent du mal à la suivre. En 1939, elle obtient son brevet de skieur UFOLEP. Sa carrière de skieuse ne fait que commencer, allant crescendo jusqu’aux plus hautes marches du podium.
Enfin, en 1941, elle est admise au club des sports de Chamonix et, par le fait du hasard, est présentée à Emile Allais. Quelle fierté pour elle de cotoyer les plus grands skieurs, et précisément le vainqueur qu’elle a tant admiré sur la piste de la Fis en 1937 !
Son admission en équipe de France est presque une formalité pour Lucienne : premier test, premier « coq » ! C’est gagné… elle a tout juste 15 ans !
Sa carrière commence vraiment, saison après saison, prouesse après prouesse et malgré de nombreuses blessures.
Serre-Chevallier la couronne championne de France en 1943, mais une mauvaise chute la blesse à la hanche. Le titre est gagné malgré d’atroces douleurs. Pourtant, rien ne l’arrête : « Je rentrais du ski portée par deux personnes ». Elle s’acharne, ne s’avoue jamais vaincue : « C’était ma vie, il n’y avait que ça… Quand il y avait le chrono, je revivais, les garçons disaient : C’est le seul moment où on l’entend chanter« .
Lors des Jeux Olympiques de 1948, elle joue de malchance, chutant à trois portes de l’arrivée à cause d’un ski défectueux alors qu’elle comptait trois secondes d’avance ! C’est sa plus mauvaise chute, avec des souffrances épouvantables qui l’empêchent même de marcher.
Une seule solution : l’opération. Elle aura lieu à Paris en 1952.
Une cheville brisée, une jambe cassée et surtout la naissance de son enfant l’obligent à ralentir. Mais rien ne l’arrête vraiment, Lucienne vole de succès en succès. En 1949, elle rafle toutes les victoires lors d’une époustouflante tournée en Amérique : « Ma plus belle année » dira-t-elle.
Et 1954… une année phare à Arc (Suède), à peine rétablie d’une maladie, et alors qu’elle ne participe aux championnats du Monde que pour l’honneur, et loin d’être la favorite, elle obtient la 3e place en descente et sort victorieuse du slalom géant, gagnant ainsi le titre de Championne du Monde : une juste récompense pour cette grande skieuse qui ne ménage jamais sa peine aux entraînements, ni son courage lors des épreuves. Lucienne devient la première française championne du monde. Elle raconte : « Je suis partie sans mes chaussures tellement j’étais prête à gagner, les copines m’ont rappelée à temps. De part et d’autre du départ, il y avait des filles et les garçons de l’équipe : avant de partir, je leur ai fait un salut. » Les anecdotes se succèdent : Sten Briksen, le Suédois, vient la féliciter à l’arrivée tandis que le public et les équipes suisses et autrichiennes l’acclament à son arrivée à l’hôtel. Elle raconte aussi cette curieuse remise de médaille où, pour toute Marseillaise, la délégation française entendit un morceau de trompette ! Avec passion, Lucienne revit sa vie de sportive, ses victoires et leur retentissement incroyable en France : photos dans les plus grands médias français, réceptions officielles à Paris avec une remise de la Légion d’Honneur, sans oublier toute la population de Chamonix dans la rue pour accueillir sa championne.
Un incroyable palmarès, une discrétion qui n’a d’égal que son talent…
1944 :
Entrée à l’Equipe de France
1e en slalom – Accident en descente (colonne vertébrale)
1945 :
1e en slalom et descente
1946 :
1ere en slalom au Lauberhorn
Médaille d’honneur d’argent de l’Education Physique
1947 :
Naissance de son fils Jean-Paul.
Ouvre le slalom des Championnats de France
1948 :
1e en slalom aux Championnats de France
5e en descente au Kandahar
10e en descente et slalom aux J.O. de St Moritz
9e en slalom du Grand Prix de Nice à Auron
1949 :
1e en descente et slalom au critérium national féminin
1e en slalom, 2e en géant de la coupe Levacic à l’Alpe d’Huez
2e en géant, 2e en descente : 1e au combiné au Gd Prix de Villard sur Ollon
5e en descente, 2e en slalom aux Championnats du Monde de Grindelwald
2e en descente, 1e en slalom, : 1e en combiné au Championnat du Canada
2e en descente, 1e en slalom : 1e au combiné du Championnat d’Aspen
1e en descente, 1e en slalom : 1e au combiné du Kandahar à Québec
1e en descente, 1e en slalom : 1e au combiné de la Coupe Harrimann à Sun Valley
Diplôme d’Académie des Sports
1950 :
1e en slalom, 2e en géant de la Coupe Livacic –
2e en descente, 1e en slalom du Critérium National Féminin
3e en Géant, médaille de Bronze au Championnat du Monde d’Aspen
1951 :
Opération hernie discale
1952 :
Cheville cassée à Badgastein
1954 :
2e en slalom, 10e en géant au Championnat du Monde de Grindelwald
9e en descente, 1e en géant, 8e en slalom au Grand Prix de Kitzbuhel
3e en slalom au Grand Prix de Sestrière
3e en descente, 2e en slalom, 1e au combiné au Grand Prix International de Chamonix
1e en descente, 2e en slalom au Grand Prix de Courchevel
1e en géant au Grand Prix des Allues
1954 :
Médaille d’honneur d’or de l’Education Physique
Médaille d’argent de l’EHM
3e en géant, 5e en descente, 3e en slalom, 1e au combiné au Championnat du Monde de Grindelwald
3e en descente, 1e en géant, 3e au combiné au Championnat du Monde à Are en Suède
Première skieuse française championne du Monde
1968 :
Chevalier de l’Ordre National du Mérite
1984 :
Chevalier de la Légion d’Honneur (29 décembre)
Images et textes publiés avec l’autorisation de Lucienne Schmith-Couttet en 2007.