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Traces dans la neige (1)

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Voilà environ 130 ans, les Chamoniards voient arriver, pour la première fois dans la vallée, de drôles de planches. Rapportées depuis la lointaine Norvège, contrée au climat réputé rigoureux, elles servent – dit-on – à marcher sur la neige sans s’enfoncer. Très longues et recourbées sur l’avant, on les fixe sous ses chaussures à l’aide de lanières de cuir et… en avant, un pied, puis l’autre glissent en surface sur le manteau neigeux. Ce sont des skis, étymologiquement : des « planches » en norvégien.

Diaporama de l’article

  • Légende photo :

    1911 Apprentissage

  • Légende photo :

    1905 Skieurs tirés par un traîneau

  • Légende photo :

    1911 Saut à skis en parallèle

    Traces… de village en village

    Au pays, on devine assez vite combien ces outils vont être utiles au quotidien tout au long de l’hiver : se ravitailler, recevoir le rare courrier qui parvient de l’extérieur, aller chercher des remèdes, se rendre à l’église pour la messe dominicale ou permettre aux enfants de fréquenter l’école par tous les temps. Rapidement, menuisiers et forgerons se mettent à l’ouvrage pour essayer d’en fabriquer.

    Le Docteur Michel Payot, quant à lui, n’hésite pas une minute. Né à Chamonix en 1869, il comprend tout de suite l’importance de ce matériel pour les populations montagnardes. « Grâce aux skis, écrit-il en 1903, nombreux sont les soins donnés aux montagnards malades et privés de tout secours ». Pour lui, c’est un moyen rapide pour se rendre au chevet de ses patients lorsque routes et chemins sont impraticables. La large et encombrante raquette est délaissée au profit de ces « planches » grâce auxquelles, de surcroît, on peut se laisser glisser dans les descentes ! Aux gains de temps et de fatigue, les premiers usagers n’osent pas encore ajouter la notion de plaisir…

    Traces… de guides

    De leur côté, les guides ne tardent pas à adopter, eux-aussi, cet innovant matériel et c’est skis aux pieds que Joseph Ravanel dit le Rouge réussit la première traversée hivernale du col du Géant en 1902 avec ses compagnons Alfred Simond, Henri Devouassoud, René Payot et Joseph Couttet. Chamonix-Courmayeur en 14 heures ! Fier de son succès, il réitère l’année suivante et se lance avec le Docteur Michel Payot, en plein mois de janvier, sur l’itinéraire qui deviendra la mythique Haute Route de Chamonix à Zermatt. Pour le suivre, outre ses deux frères Camille et Jean qui font office de porteurs, il choisit Joseph Couttet et Alfred Simond. Tout n’est pas facile. On fixe des plots sous les skis pour ne pas reculer lors des montées trop raides tandis qu’une descente périlleuse est abordée en liant les skis entre eux pour les transformer en luge, plus facile à manœuvrer… Joseph Ravanel raconte : « Nous glissons bientôt aux Echelettes. Le ravin que nous devons descendre de là pour atteindre Orsières est rapide et encaissé : il est imprudent de le parcourir avec nos patins aux pieds. Vivement, nous les transformons en traîneaux. Les deux skis sont placés côte à côte, nous nous asseyons dessus en tenant les courroies des montures à la main et dans un tourbillon de neige que nous soulevons grâce à la rapidité acquise, la trombe formée par la caravane arrive au Grépillon de l’Ors en quelques minutes. »

    Traces… avec élan

    Avec les hivernants naissent les joies de la neige. D’utilitaire, le ski devient objet de loisir. Monter en haut de la pente, se laisser glisser, tomber et se relever : tout est prétexte à rires, gentilles moqueries, voire coquineries !

    Pour les jeunes garçons, rien ne vaut un petit tremplin pour tenter de sauter le plus loin possible. Proche du centre-ville, près du Savoy-Palace, le tremplin de Samaran fait fureur. Pour le fabriquer, rien de plus simple : choisir une pente de 15 degrés maximum se terminant par une partie horizontale. L’exploit consiste alors, pour le sauteur, à grimper très haut dans la pente pour prendre de la vitesse et donner l’impulsion au bon moment. L’envol en sera d’autant plus beau… l’atterrissage restant très libre !!! Chaque village construit son tremplin : au Planet (devant l’hôtel), aux Praz (les Frasses), à Argentière (les Rambles), à Montroc (les Planards), au Cry (le Grépon)… pour le bonheur des adeptes du saut à skis qui, comme Icare, rêvent peut-être de s’envoler, tel un oiseau majestueux. On voit leurs bras, d’abord tendus vers l’avant, se ramener progressivement le long du corps avant que claquent les skis à l’arrivée, quelques dizaines de mètres plus bas. Les concours s’organisent, tout le village est là pour tracer, aplanir et tasser la neige, rectifier le profil du nez du tremplin ou ajouter quelques pelletées de poudreuse qui amortiront les chutes lors d’arrivées un peu brutales… Et c’est l’euphorie dans le public lorsque commencent les spectaculaires sauts en doublé-parallèle !

    Traces… de champions

    Conscient des avantages dont les enfants des montagnes peuvent bénéficier en hiver, le Docteur Michel Payot crée le premier Club des Sports Alpins de Chamonix en 1905, suivi de très près par le Ski-club M.A.P. (Montroc-Argentière-Le Planet) fondé par Auguste Tairraz, propriétaire de l’hôtel du Planet. Il adhère largement aux propos de son frère, Jules Payot (Recteur d’académie Aix-en-Provence), qui écrira quelques années plus tard : « À Chamonix, l’hiver n’éveille que des idées de propreté éclatante, de blancheur et de sentiments riants. Dans mes souvenirs d’enfant je ne retrouve que fêtes et allégresse : glissades interminables, parties de luge, construction de palais en diamant, joyeuses batailles à coups de boules de neige, feux pétillants de l’âtre… »

    Sous la houlette du Club Alpin Français, des compétitions de ski sont organisées chaque année dès 1910, donnant aux écoliers l’occasion de se distinguer en suivant les traces des plus grands. Alfred Couttet dit « à la Colaude », qui a appris à skier sur des douves de tonneau, devient « Couttet-Champion » en 1909. Sa générosité et ses dons de pédagogue l’encouragent, dès la fin de la Grande Guerre, à ouvrir une école de ski gratuite pour les enfants du pays, pressentant combien il leur sera utile de maîtriser cette activité de plein air dont les hivernants sont friands. En 1920, ses premiers 9 élèves (ils seront 96 en 1936) suivent leur maître incontesté dans l’art du télémark avec sa célèbre génuflexion et dessinent à leur tour une volute parfaite dans la neige scintillante.

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