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Traces dans la neige (2)

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Voilà environ 130 ans, les Chamoniards voient arriver, pour la première fois dans la vallée, de drôles de planches. Rapportées depuis la lointaine Norvège, contrée au climat réputé rigoureux, elles servent – dit-on – à marcher sur la neige sans s’enfoncer. Très longues et recourbées sur l’avant, on les fixe sous ses chaussures à l’aide de lanières de cuir et… en avant, un pied, puis l’autre glissent en surface sur le manteau neigeux. Ce sont des skis, étymologiquement : des « planches » en norvégien.

Diaporama de l’article

  • Légende photo :

    1908 Avec un seul bâton

  • Légende photo :

    Course des guides derrière l’hôtel Claret et de Belgique

  • Légende photo :

    1921 Ecole de ski pour les enfants

  • Légende photo :

    1935 La chenillette amateur a remplacé le mulet et le traîneau

    Traces… de champions

    Conscient des avantages dont les enfants des montagnes peuvent bénéficier en hiver, le Docteur Michel Payot crée le premier Club des Sports Alpins de Chamonix en 1905, suivi de très près par le Ski-club M.A.P. (Montroc-Argentière-Le Planet) fondé par Auguste Tairraz, propriétaire de l’hôtel du Planet. Il adhère largement aux propos de son frère, Jules Payot (Recteur d’académie Aix-en-Provence), qui écrira quelques années plus tard : « À Chamonix, l’hiver n’éveille que des idées de propreté éclatante, de blancheur et de sentiments riants. Dans mes souvenirs d’enfant je ne retrouve que fêtes et allégresse : glissades interminables, parties de luge, construction de palais en diamant, joyeuses batailles à coups de boules de neige, feux pétillants de l’âtre… »

    Sous la houlette du Club Alpin Français, des compétitions de ski sont organisées chaque année dès 1910, donnant aux écoliers l’occasion de se distinguer en suivant les traces des plus grands. Alfred Couttet dit « à la Colaude », qui a appris à skier sur des douves de tonneau, devient « Couttet-Champion » en 1909. Sa générosité et ses dons de pédagogue l’encouragent, dès la fin de la Grande Guerre, à ouvrir une école de ski gratuite pour les enfants du pays, pressentant combien il leur sera utile de maîtriser cette activité de plein air dont les hivernants sont friands. En 1920, ses premiers 9 élèves (ils seront 96 en 1936) suivent leur maître incontesté dans l’art du télémark avec sa célèbre génuflexion et dessinent à leur tour une volute parfaite dans la neige scintillante.

    Traces… de freinage

    1 bâton, 2 bâtons ? Le débat est lancé dès 1903.

    Chacun défend ses propres arguments, les premiers baptisant les seconds de « malades à béquilles », alors que, pendant ce temps, les Norvégiens « glissent sans bâton dans les pentes, tournent à pleine vitesse puis, d’un souple effort, s’arrêtent à quelques mètres des spectateurs ». Les moins habiles se contentent néanmoins de « l’arrêt Briançon », consistant à se laisser tomber dans la neige !

    Bien qu’ayant introduit le ski en France dès 1895 grâce aux échanges réalisés avec les officiers norvégiens, les militaires français gardent l’usage du bâton unique jusqu’à la fin de la Grande Guerre. Ce long bâton de presque deux mètres se termine par une large rondelle de cuir l’empêchant de s’enfoncer dans la neige et permettant accessoirement de se relever. Utilisé comme frein, en « sorcière » entre les jambes, ou comme « aide à tourner », il est jugé parfois dangereux à cause de sa pointe ferrée, et progressivement abandonné au profit des deux bâtons et des nouvelles techniques de freinage : chasse-neige, christiania ou télémark.

    Traces… de femmes

    Si elle voit l’abandon du long et encombrant bâton et des bandes molletières portées par les messieurs, la Belle Epoque est extraordinaire pour l’immense création artistique de l’Art Nouveau.

    C’est l’époque où l’on veut sortir de ce sévère XIXe siècle. Le sport, et les sports d’hiver en particulier y participent à leur façon, les femmes troquant avec soulagement la longue robe gênante et le corset contre la jupe courte et le chandail, voire le pantalon. « J’avais bientôt jugé la jupe incompatible avec un sport où il fallait parfois faire de l’acrobatie pour se démêler dans la neige. C’est pourquoi, ainsi que Marie Marvingt, l’aviatrice et alpiniste bien connue, j’arborai courageusement la culotte ». (Madeleine Namur-Vallot, fille de Joseph Vallot)

    Traces… de ski-jöring

    Quelle « Belle Epoque » que ces années 1900 où Chamonix reçoit une riche clientèle avide des plaisirs de la neige ! Mais tous les hivernants ne sont pas spécialement sportifs, même si le Club Alpin Français encourage le goût de l’effort et les bienfaits d’une belle ascension en montagne.

    Pour ce public, douillettement installé dans des hôtels chauffés et confortables, le ski est plus amusant en groupe pour une promenade en traîneau ou en ski-jöring. Et l’on peut admirer ces curieux attelages sur la route nationale : des chevaux attelés à des traîneaux tintinnabulants de grelots où s’accrochent, à l’aide d’une corde, une dizaine de skieurs se laissant tranquillement tirer.

    Traces… d’auto-chenilles

    À la suite de la Grande Guerre et sous l’influence de l’Automobile Club de France, des tanks de l’armée sont rachetés par des entreprises – comme Citroën par exemple – et transformés en véhicules privés, les auto-chenilles. L’arrière est équipé de chenillettes tandis qu’à l’avant les roues escamotables sont remplacées par des spatules de ski. Les « tanks des neiges » sont alors capables de se déplacer dans la neige profonde, de franchir les cols et de hisser les skieurs en haut des pistes.

    Préfigurent-ils déjà les futurs remonte-pentes, tire-fesses et autres téléskis ? Les premiers Jeux Olympiques d’hiver de 1924 apporteront de notables changements dans les pratiques du ski (avec le ski de fond et la « patrouille », futur biathlon, disciplines initialement réservées aux militaires). Mais il faudra attendre les fêtes de Noël 1935 pour voir fonctionner le premier téléski à Chamonix, celui de la Côte au Savoy.

    Histoire à suivre avec le développement des remontées mécaniques : Les Glaciers en 1927, Planpraz-Brévent en 1930, etc.

    Sources et biblio :

    Payot Michel, Chamonix à Zermatt en ski, revue alpine, septembre 1903

    Recteur Payot : Les Alpes éducatrices : mon Chamonix, éditions Payot, 1933

    https://www.couttetchampion.com/le-skieur.php

    https://www.mountainmuseums.org/fr/items/madeleine-namur-vallot-a-ski/

    https://www.remontees-mecaniques.net/dossier/page-histoire-des-teleskis-51.html

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